Classer les genres littéraires

Je viens de voir circuler une question intéressante : comment classer les textes enseignés en genres littéraires, en particulier lorsqu’on veut expliquer les choses simplement à de jeunes élèves ? La question des genres littéraires est en effet passionnante, et elle a fait couler beaucoup d’encre. Même si la littérature contemporaine a tendance à se jouer des frontières génériques, il faut bien que ces frontières existent pour qu’on puisse se jouer d’elles. Aussi la notion de genre littéraire reste-t-elle tout à fait pertinente, et, à vrai dire, pas si simple qu’il ne paraît au premier abord.

Pourquoi existe-t-il des genres littéraires ?

Il faut bien avoir à l’esprit que les genres littéraires, avant d’être un objet d’étude pour les chercheurs, sont avant tout des catégories pratiques, utilisées par les lecteurs, les éditeurs, les libraires. De même que la langue existe avant les linguistes, les genres littéraires n’ont pas attendu les chercheurs en lettres pour exister. Et il existe toutes sortes de classifications, plus ou moins rigoureuses, et plus ou moins pratiques à utiliser, en fonction de ses besoins.

La classification scientifique

Les bibliothécaires, chargés de classer des livres sur tous les sujets, recourent à des classifications exhaustives et rigoureuses, comme la classification Dewey parfois simplifiée pour les enfants sous la forme d’une marguerite colorée. Cette classification est généralement celle utilisée dans les bibliothèques et les centres de documentation. La Bibliothèque Universitaire de la Fac de Lettres de Nice a, pendant un temps, adopté la classification de la Bibliothèque du Congrès.

Ces classifications, pour rigoureuses qu’elles soient, me semblent trop complexes à aborder avec des élèves, que l’on parle d’écoliers ou de collégiens, sauf à la limite sous une forme simplifiée. Mais même la fameuse « marguerite » en dix couleurs ne me paraît pas insister suffisamment sur l’essentiel. Je vais donc proposer une autre classification qui, bien qu’elle soit la mienne, repose sur des notions généralement admises, même si elles sont très simplifiées.

Fiction et non-fiction

Bien que la littérature la plus contemporaine se plaise parfois à brouiller les frontières, la première distinction à faire est celle entre textes fictionnels et textes non-fictionnels. C’est là, à mon avis, les deux hyper-genres entre lesquels se partagent tous les livres. Les premiers relèvent en général de l’art et de la littérature, tandis que les seconds ont essentiellement une visée pratique.

Cependant, on rencontre malgré tout un os, c’est que les textes autobiographiques sont souvent romancés, tout en n’étant pas des textes fictionnels puisqu’ils parlent de la vie réelle de leur auteur. Ce sont des textes qui ont une certaine littérarité tout en se voulant rapporter des faits réels.

Les trois grands genres littéraires

Une fois qu’on a subdivisé les livres entre « fictionnels » et « non-fictionnels », on va pouvoir distinguer, parmi les premiers, en trois grands genres. Cette tripartition nous est héritée d’Aristote : il y a la diégèse, la mimèse et la poésie.

Les genres narratifs

Relèvent de la diégèse, du récit, l’ensemble des ouvrages qui entendent raconter quelque chose. Évidemment, parmi les genres narratifs, on va surtout s’intéresser au roman, qui est le genre diégétique par excellence, mais il ne faut pas oublier la nouvelle, le récit, le conte, la biographie, l’autobiographie, etc.

Traditionnellement, on distingue de nombreux sous-genres du roman, en fonction du contenu: roman policier, roman historique, roman de science-fiction, roman épistolaire, roman d’aventures… La fantasy pourra être considérée comme un genre romanesque. Et puis il y a le « roman littéraire », qui se caractérise par le fait d’être très peu marqué d’un point de vue thématique, même s’il s’agit très souvent d’une intrigue amoureuse.

Il semble de bonne méthode de considérer les albums de bande-dessinée comme relevant du récit et de la narration. Certains parlent ainsi de roman graphique.

Les genres théâtraux

On parle parfois de mimèse pour désigner la spécificité des textes de théâtre, lesquels ne sont pas des récits mais des indications écrites en vue d’une mise en scène, donc d’une monstration de l’action. Au théâtre, on ne raconte pas une action, on la montre.

Depuis l’Antiquité, on partage les pièces de théâtre entre comédie et tragédie. Cette distinction, héritée d’Aristote, ne doit pas faire oublier la multiplication des sous-genres théâtraux au fil du temps : farce, drame bourgeois, drame romantique, comédie-ballet, etc.

La poésie

Définir la poésie est une gageure. Il est réducteur de la définir en lien avec une forme particulière, tant l’histoire littéraire a prouvé que la poésie était loin de se réduire au vers, fût-il libre. Il est tout aussi naïf de penser la définir en lien avec un thème ou un sujet donnés, dans la mesure où la poésie peut traiter d’à peu près tout. Il n’est guère plus pertinent de la définir par l’expression de sentiments, dans la mesure où la poésie est loin de se réduire à cela. On peut tenter de la définir comme un discours qui tient tout autant au monde et à la langue, mais bien des textes littéraires non-poétiques se retrouveraient alors inclus dans cette définition. Il me semble que la définition la plus pertinente reste encore la plus empirique : même sans pouvoir exactement définir la poésie, on sait à peu près dire ce qui en est et ce qui n’en est pas.

Les genres non-littéraires

Parmi ce grand ensemble, on peut distinguer :

  • les ouvrages utilitaires, qui visent à informer et se veulent le plus neutres possible : encyclopédies, dictionnaires, manuels, traités, recettes de cuisine…
  • les ouvrages argumentatifs, qui visent à défendre un point de vue :
    • les ouvrages qui cherchent à convaincre et persuader : pamphlets, discours, satires, épigrammes, aphorismes
    • les ouvrages délibératifs, où il s’agit également de défendre un point de vue, mais en cherchant moins à agir sur le lecteur : essais, pensées, notes
      • Parmi ceux-ci, il y a les ouvrages exégétiques, qui parlent d’un autre livre ou d’une autre œuvre d’art : critique littéraire, compte-rendu de spectacle

*

Dans cet article, j’ai essayé d’être le plus simple possible. Il me semble que cette classification est largement suffisante pour l’enseignement primaire et secondaire. Il sera intéressant, plus tard, d’aller plus loin, en affinant la définition des genres, en évoquant un plus grand nombre de sous-genres, en relevant la porosité de certains genres, en traitant d’hybridité générique…

Arborescence très simplifiée des genres littéraires

Pour en savoir plus :

  • Gérard GENETTE, Figures, Paris, Seuil, 1966-2002.
  • Gérard GENETTE, Palimpsestes, Paris, Seuil, 1982.
  • Aristote, Poétique (Περὶ ποιητικῆς), v. 335 av. J.-C.
  • Hélène BABY (dir.), Fiction narrative et hybridation générique dans la littérature française, Paris, L’Harmattan, 2006.

Image d’en-tête : Pexels (bibliothèque d’images libres fournie par WordPress).

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