Les ruines d’Aspremont

Village : espace où le temps
Cesse de courir. C'est la fontaine
D'un ancien lavoir, qui coule
Pour rien ou personne. C'est l'ocre
D'un mur enduit à la chaux, de lourdes
Pierres sèches, d'étroites ruelles qui
S'enroulent autour d'un platane ou d'un
Marronnier.

Rien ne bouge dans la tiédeur du printemps,
Sinon l'ombre parfois d'un chat paresseux.

Le regard s'accroche aux nombreux détails
Que le temps a laissés là, puis s'envole dans
L'infini paysage qui s'étend tout autour,
Savourant la possibilité d'embrasser enfin le
Monde.

Car là, tout en bas, s'écoule le grand fleuve,
Celui qui s'abreuve aux plus hautes cimes,
Et dont les eaux grises serpentent sur leur lit
De galets. On devine encore longtemps la route
De ses eaux sombres qui se poursuit dans la mer.

Au-dessus, c'est tout un dégradé de collines
Et de montagnes, de sommets abrupts perdus dans
La brume, dont le vert se teinte progressivement
D'un énigmatique violet, avant que se devinent,
Tout en haut, les dernières arêtes de neige.

Le sentier continue de grimper sous le soleil,
Étroite ligne de cailloux parmi les cystes et
Les bouquets de thym qui embaument dès qu'on les
Effleure. L'ombre des chênes verts se fait
De plus en plus rare et les derniers mètres
Tiennent presque de l'escalade.

On arrive enfin aux ruines : quelques murs épais
Dessinent ce qu'il reste d'une chapelle, tandis
Que se dresse une grande arche au-dessus du
Vide, porte ouverte sur le rien, sinon le
Temps, lointaine époque d'un village perché sur
Ces hautes cimes. Vertige du vide qui entoure
L'arche de pierres sèches, alliance du ciel et de
La terre.

Gabriel Grossi, mai 2021.

6 commentaires sur « Les ruines d’Aspremont »

  1. Les ruines d’Aspremont
    Gabriel Grossi

    Il est bien agréable de voyager avec Gabriel Grossi , et cette fois encore pour une ascension vers un sommet , en sept paragraphes de longueur variable .

    Le poème s’ouvre par le mot « village « , ce qui renvoie immédiatement les citadins que nous sommes presque tous devenus, à l’ancien temps , le bon temps ? Espace-temps en tout cas , où le temps , sinon s’arrête , du moins ralentit « il cesse de courir « . La fontaine du lavoir continue de couler , alors même que plus personne depuis longtemps ne vient laver son linge comme les filles de Nausicaa . La fontaine » coule pour rien » , gratuitement , poétiquement peut-être ?
    Les sons et les couleurs se répondent , comme cet ocre jaune d’un mur « enduit à la chaux « , et dont le temps a préservé la fraicheur , couleurs pastels caractéristiques du Midi , et de l’Italie , qui n’est pas loin.
    Et voilà les ruelles , façonnées par l’Histoire , qui « s’enroulent autour d’un platane ou d’un marronnier « , comme sur n’importe quelle place d’un village français ( on ne se serait pas étonné d’y trouver un très vieil olivier )

    Nous voilà dans ce village au temps arrêté ,où , très naturellement, « rien ne bouge » (« rien ne bougeait encore au front des palais « , dans l’imaginaire rimbaldien ), sauf « l’ombre parfois d’un chat paresseux « , ce village serait donc encore habité ? ou bien n’est-ce que l’ombre d’un chat d’autrefois ?

    On est curieux , en arrivant dans un lieu déserté , d’y retrouver des traces , des vestiges de la vie passée « le regard s’accroche « à tous les détails , puis se libère du contingent et s’envole vers l’infini, » l’infini paysage « rendu pour quelques heures à ce qui est « , pour citer JM Maulpoix ,que l’auteur connait de façon privilégiée ( « Apprentissage de la lenteur « ).
    Et c’est alors le Monde qui s’offre à nous , autre façon de nommer la Nature qui contient tout et nous englobe , enfin délivrés des miasmes des menus tourments évoqués dans le poème précédent.

    Ce point de vue élevé , au propre et au figuré , dans le temps autant que dans l’espace , peut maintenant se mesurer au « grand fleuve « , métaphore peut-être de la destinée humaine , depuis « les plus hautes cimes » jusque dans la mer , une artère vivante comme dans « La Vierge au Chancelier Rolin « de Jan Van Eyck .

    Le cheminement du regard se poursuit comme dans une perspective aérienne de la peinture chinoise ( dégradé de collines et de montagnes , de sommets abrupts perdus dans la brume , jusqu’aux « dernières arêtes de neige « )

    On revient vers le soleil avec la progression du sentier de plus en plus étroit , dans les odeurs des cystes (dont la germination est favorisée par le feu) , et du thym , caractéristiques du pourtour méditerranéen , qui libèrent le parfum au passage du promeneur , comme pour l’enivrer davantage .
    Passés les derniers chênes verts , le randonneur n’a plus rien pour échapper à l’insistance du soleil : la révélation peut alors survenir , comme dans un éblouissement .

    Les ruines , ruines d’une chapelle d’abord , vestiges de la civilisation chrétienne , puis enfin apparait ce qui semble être la finalité du voyage autant que du poème « une grande arche au-dessus du Vide , porte ouverte sur le rien , sinon sur le Temps « , comme une porte du Tao .
    Rien d’étonnant alors qu’on soit pris par le « Vertige du vide qui entoure l’arche de pierres sèches , alliance du ciel et de la terre «

    Ce voyage aura donc été comme un voyage initiatique , dont les Mystères ne sont révélés qu’à quelques « élus « , dont nous sommes , dont vous serez peut-être ,après avoir lu ce saisissant poème .

    16-05-2021

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  2. Bonjour,
    très beau texte, qui m’a rappelé, par la végétation décrite, certaines de mes ascensions audoises et varoises.
    Plutôt audoises par l’arrière plan sur l’image d’ailleurs, d’autant que la mer est absente.

    Aimé par 1 personne

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