Le poète Bernard Noël est décédé hier à l’âge de quatre-vingt-dix ans, quelque temps après Philippe Jaccottet. C’est dire que les grandes voix du vingtième siècle s’éteignent peu à peu… Aussi importe-t-il, pour lui rendre hommage, de présenter sa poésie.
Revue de presse
Je n’ai hélas lu, de lui, qu’un recueil, intitulé Un regard en abîme, dont j’avais déjà parlé sur ce blog, ainsi que le numéro que la revue Nu(e) lui avait consacré. Aussi cet article prendra-t-il la forme d’une revue de presse, tentant une sorte de synthèse des articles parus.
Libération voit en Bernard Noël l’auteur d’une « œuvre parmi les plus importantes de la fin du XXe siècle ». Son parcours, tel que le journal Le Monde le retrace, peut être résumé en mentionnant ses études de journalisme, son métier d’éditeur ainsi que le poids des grands événements mondiaux sur sa pensée et sur son œuvre. Libération précise que le poète porte le « grand traumatisme de sa génération », celui d’avoir connu, après la guerre mondiale, celle d’Algérie. Le Nouvel Observateur, quant à lui, présente à juste titre le poète comme celui d’un « parti pris du corps ». De fait, l’un de ses recueils s’intitule précisément Extraits du corps. Ces deux articles, ainsi que celui du Figaro, rappellent la condamnation pour « outrage aux bonnes mœurs » de son livre Le Château de Cène, ouvrage érotique qui a sans doute joué un rôle libérateur pour le poète, et confirmé sa vocation d’écrivain. Quant aux poursuites judiciaires, elles l’ont conduit à mener une réflexion sur les formes contemporaines de la censure, à travers la création du néologisme de « sensure » qui désigne l’affaiblissement du sens des mots et « les abus de langage » du monde capitaliste (Le Figaro), un langage « détourné par le capitalisme, la communication, la télévision » (Le Nouvel Observateur). L’article du Huffington Post reprend la même trame générale. Celui de Actualitté également, mais livre en plus un hommage de Roselyne Bachelot. L’article de L’Humanité a l’air plus original, commençant par ce que disait, de son vivant, le poète sur la mort, mais sa lecture intégrale est réservée aux abonnés. L’article de Médiapart, rédigé par un historien, nous apprend que Bernard Noël était aussi un spécialiste de la Commune. On notera en outre que le journal italien Metronews s’est fait l’écho de la triste nouvelle, montrant s’il en était besoin la portée internationale de son œuvre. Enfin, je vous invite à aller faire un tour du côté de la revue Recours au poème, qui, en plus d’un article nécrologique, propose un bel hommage de Marilyne Bertoncini sous forme de vidéo avec une lecture du Livre de l’oubli. On y trouvera aussi une citation issue du Jardin d’encre, suffisamment longue pour permettre d’apprécier le passage, et l’insertion d’un entretien radiophonique avec Laure Adler.
Regard sur l’œuvre
Pour Fabio Scotto, qui a dirigé le colloque de Cerisy-la-Salle consacré à Bernard Noël, le poème est, chez Bernard Noël, « le lieu d’une investigation lyrique de l’organique temporel, ainsi que de la relation secrète qui lie la naissance du mot à l’élaboration mentale de l’image dans l’aventure de la nomination ». Il loue la plume tranchante « comme un couteau » du poète, capable de percer à vif la « surface du visible » pour mieux explorer le corps. Il évoque une « voix polyphonique et plurielle », soulignant que maints poèmes s’adaptent parfaitement à une théâtralisation. Il définit la pensée du poète comme « humaniste et libertaire, dans un monde de plus en plus inhumain et globalisé ». Fabio Scotto rappelle également que Bernard Noël a beaucoup écrit sur l’art et avec des artistes. Enfin, il souligne les multiples facettes d’un écrivain qui a été tout à la fois « historien de la Commune de Paris », « écrivain pour l’enfance », « traducteur » et éditeur. Bernard Noël était ainsi « l’une des personnalités les plus marquantes du débat littéraire et culturel actuel ».
Citation
« coudre le silence
le fil de la parole
s’en va dans le vent et croit
qu’il va repriser le pli des lèvres
tout ce qui fait un visage
on ne corrige rien
on continue et le temps parfois
pose là ses dents pour
mâcher lentement nos ombres
on pense qu’une petite main
tout à coup organise nos sensations
alors qu’une image enfonce à présent
son écharde qui plus tard fera du pus
à moins que l’oubli ait pourri déjà
le souvenir ou que la vie à la fin
ait usé tous les chemins
ou bien peu à peu vidé la mixture interne […] »
Bernard Noël, « Les mots recousus », I (extrait), Textes inédits,
dans Fabio Scotto (dir.), Bernard Noël : le corps du verbe, Lyon, ENS éditions, 2008.
Les citations de Fabio Scotto ci-dessus sont extraites de l’introduction de ce livre.


Merci de nous faire découvrir ce poète dont vous présentez un poème qui me plaît beaucoup!
je vais chercher la suite de son oeuvre séance tenante !!
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« Quand le jour viendra
regarde qui s’efface
sur tes lèvres
chaque nom meurt
en silence »
Nulle part ma voix
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Du monde, parfois, nous sommes déconnectés.
On accorde de l’importance à ce qui est, et demeurera futile sans prêter l’attention qu’il conviendrait à tel ou tel événement.
Et, ce soir, j’apprends le décès de Bernard Noël, l’un de nos plus grands poètes du siècle dernier et de ce siècle. L’homme qui ré introduisit (encore une fois dans l’histoire de la littérature et de l’art) cette relation « surprenante » entre le corps et les mots « Extraits du corps, ».
Il inspira nombre de poètes et d’écrivains dont Matthieu Bénezet. Puis il y eu cette notion de la « sensure » dans « L’Outrage aux mots, ». Une censure du sens.
Nous ne partagions pas les choix politiques. Mais quel formidable écrivain il fut, en général et pour le jeune homme que j’étais.
Merci Bernard Noël.
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Grande tristesse. Je perds un ami. J’avais eu l’honneur de traduire un florilège de ses poèmes en italien (d’après les plumes d’Eros) sur la belle revue fili d’aquilone et de l’inviter pour un débat au Centro Culturale Europeo di Genova avec Antonio Ricci, auteur de l’émission « Striscia la notizia » sur Canale 5, suite à ma traduction de son livre-pamphlet contre la manipulation télévisée et les « cerveaux disponibles », intitulé « La maladie du sens ». Ce fut un grand poète et un grand monsieur.
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