La notion de complément du nom paraît simple : il s’agit d’un constituant du groupe nominal, qui, comme les déterminants, les adjectifs qualificatifs épithètes, et les propositions subordonnées relatives, est un satellite du nom. Cependant, les choses se compliquent dès lors que l’on tente d’analyser les choses en détail…
1. Définir le complément du nom
1.1 Un constituant du groupe nominal, satellite du nom
Les grammairiens usent volontiers de métaphores pour expliciter les arcanes de la grammaire. Il y a ainsi la métaphore fruitée, faisant du mot-tête d’un groupe nominal un noyau, par opposition aux autres mots du groupe nominal, plus périphériques. Les grammairiens usent aussi d’une métaphore astronomique, lorsqu’ils définissent ces éléments comme des satellites du nom.
Comme une image vaut mieux que cent discours, on peut représenter le groupe nominal comme une sorte de système solaire, où le nom-noyau occuperait la place du Soleil, et où les autres éléments seraient des satellites. Pour faire simple, j’ai ici représenté les satellites sur la même orbite, mais il aurait été loisible de préciser que tous ces satellites ne sont pas liés de façon aussi forte au nom : ainsi le déterminant est-il très fortement lié au nom, tandis que les autres satellites lui sont associés de façon plus lâche et peuvent généralement être supprimés sans pour autant produire une phrase agrammaticale.

1.2 Un groupe prépositionnel
Ce qui distingue le complément du nom des autres modifieurs du nom, c’est qu’il est introduit par une préposition. Cela fait de lui un groupe prépositionnel. Le plus souvent, c’est un groupe nominal prépositionnel, mais pas toujours. On peut avoir, en lieu et place d’un nom, un verbe à l’infinitif : une machine à laver, ce qui n’a rien d’étonnant quand on sait que l’infinitif est une forme nominale du verbe.
La Grammaire méthodique du français définit ainsi la structure [Dét – N1 – Prép – (Dét) – N2] pour définir la façon dont deux noms peuvent appartenir à un même groupe nominal. On notera que ces deux noms n’ont pas le même statut : l’un dépend de l’autre, d’où précisément les termes de « satellite » et de « noyau » employés plus haut.
La GMF précise que le complément du nom est toujours postposé (sauf licence poétique) et qu’il est récursif, autrement dit que l’on peut enchaîner, théoriquement sans fin, les compléments du nom : Le chien du frère de la voisine de mon grand-père…
1.3 Les fonctions voisines
Le complément du nom ne doit pas être confondu avec d’autres fonctions qui lui ressemblent. Je pense en particulier au complément de l’adjectif, au déterminant composé et à certaines formes d’apposition.
- De la même façon qu’un nom peut recevoir un complément du nom, un adjectif peut être précisé par un complément de l’adjectif, avec lequel il forme un groupe adjectival. Ainsi, dans la phrase Il était vert de peur, le groupe « vert de peur » se lit comme un groupe adjectival (qui occupe la fonction d’attribut du sujet), au sein duquel le groupe nominal prépositionnel « de peur » occupe la fonction de complément de l’adjectif.
- Un déterminant composé est une locution de plusieurs mots qui joue le rôle d’un déterminant. Ainsi, dans un tas de problèmes, on peut considérer que « un tas de » joue le rôle d’un déterminant. Structurellement, le nom « tas » semble certes être un nom-noyau précisé par le complément du nom « de problèmes » ; mais en réalité, le mot « tas » perd son sens fort, il est partiellement grammaticalisé. On ne parle pas d’un tas, mais de problèmes. On peut donc préférer faire de « problèmes » le véritable nom-noyau, précédé de la locution « un tas de » jouant le rôle d’un déterminant composé.
- L’apposition consiste à apposer deux noms successivement qui renvoient à la même réalité (enfin, c’est une de ses définitions, parce qu’il arrive aussi qu’on emploie le terme d’apposition pour des adjectifs). Ainsi, dans le roi Louis ou dans la rue Vaugirard, les noms propres doivent s’analyser comme des appositions au premier substantif. Concernant l’embrouillamini de l’apposition, je vous renvoie à un précédent article.
- L’attribution indirecte inverse (expression employée par Mme Anna Jaubert, professeur de grammaire à l’Université de Nice) ou détermination qualitative antéposée (expression employée par la Grammaire méthodique du français) désigne des tours tels que : ce fripon de valet, cet imbécile de Pierre, un amour de bébé, cette chienne de vie… Il est bien sûr impossible de simplement considérer ces séquences comme des groupes nominaux complétés par des compléments du nom, car les deux noms successifs renvoient à la même réalité. Et ce serait plutôt le premier nom qui aurait le rôle de compléter : l’expression cet imbécile de Pierre peut se paraphraser en Pierre est un imbécile (et non en *Un imbécile est Pierre).
2. Comment classer les compléments du nom ?
Les épreuves de grammaire des concours de recrutement des professeurs impliquent généralement, non pas de réciter des savoirs préparés sur telle ou telle notion grammaticale, mais de s’adapter à un relevé des occurrences fourni par un texte littéraire réel. Cela suppose, bien entendu, de proposer un classement desdites occurrences. Il faut donc réfléchir à ce qui pourrait constituer différentes catégories au sein du « complément du nom », qui à première vue paraît une catégorie à part entière. Je vois plusieurs façons de se tirer d’affaire.
2.1 Un classement sémantique
Je commencerai par parler d’un classement sémantique, pour dire que c’est celui qui, à mon sens, doit être absolument évité. En effet, il y aurait beaucoup trop de catégories. Comme le rappelle la Grammaire méthodique du français, le complément du nom peut indiquer à peu près toutes les nuances de sens du complément circonstanciel (temps, lieu, but, cause, manière…), mais aussi la possession, l’accompagnement, le lien de la partie au tout, la quantification, le thème et la matière…
2.2 Un classement selon la nature du complément du nom
On distinguera les compléments du nom qui sont des groupes nominaux et ceux qui sont constitués d’une préposition suivie d’un infinitif.
Au sein de la première catégorie, on pourra distinguer entre ceux qui possèdent un déterminant (le cartable de mon frère) et ceux qui n’en possèdent pas (une planche à voile).
2.3 Un classement selon la préposition utilisée
On distinguera alors les compléments du nom introduits par de, par à, par avec, par sans… Un tel plan risque de virer un peu au catalogue, mais il n’est pas sans intérêt, car il met en lumière différentes nuances de sens.
2.4 Des compléments du nom plus ou moins essentiels
On peut également distinguer les compléments du nom qui peuvent être supprimés sans nuire au sens (le cartable de ma sœur) et ceux qui sont à ce point liés au nom qu’ils finissent par constituer une sorte de mot composé (le fil de fer). On notera que, dans ce dernier cas, il n’y a généralement pas de déterminant dans le complément du nom. Une planche à voile n’est pas une simple planche : le syntagme constitue un mot composé.
3. Comment enseigner les compléments du nom à l’école ?
Les programmes actuels placent l’étude du complément du nom au cycle 3 (CM1-CM2-6e), en indiquant qu’il convient que les élèves soient capables de repérer le nom-noyau et le complément du nom. On notera que l’identification du complément du nom est une aide à la compréhension plutôt qu’à l’orthographe (contrairement, par exemple, à la notion d’adjectif, dont la maîtrise est nécessaire à la gestion des accords, ce qui explique sans doute que cette dernière soit enseignée dès le cycle 2).

Je voudrais vous présenter une séance de découverte que j’ai mise en place dans ma classe. Les élèves devaient découper les différents mots et groupes de mots proposés pour les coller dans les différentes catégories grammaticales qu’ils connaissaient déjà : déterminant, adjectif, nom, verbe. C’était déjà, en soi, une bonne façon de revoir toutes ces notions, et de vérifier leur bonne maîtrise. Il restait alors une catégorie, dont il fallait bien faire quelque chose. Les élèves constataient qu’elle avait plusieurs mots, dont un nom, et qu’elle commençait par « de » (j’ai volontairement choisi de ne pas multiplier les prépositions différentes pour la séance de découverte). Les élèves pouvaient donc eux-mêmes faire le constat qu’ils rencontraient là une notion qu’ils n’avaient pas encore abordée. Il revient alors à l’enseignant de la nommer : c’est le complément du nom.

Cette activité (voir image ci-contre) réutilisait les personnages qu’ils ont l’habitude de manipuler pour désigner les différentes classes grammaticales, et qui ont été trouvés sur le Net (Lutin Bazar – Retz). En fin de séance, la mise en commun au tableau a permis de prêter spécifiquement attention à ce nouveau satellite du groupe nominal, en entourant les prépositions. Cette séance de découverte et de recherche demande bien sûr à être prolongée par d’autres, où les élèves découvriront la présence de prépositions différentes, et distingueront les compléments par leur nature (GN ou infinitif notamment).

J’espère que cette petite mise au point sur le groupe nominal vous aura intéressés. Il s’agit à première vue d’une notion toute simple, mais qui n’est finalement pas sans subtilités, tant par la présence de structures proches qui ne doivent pas prêter à confusion, que par la possibilité de distinguer plusieurs catégories au sein du complément du nom. J’espère aussi que ma volonté d’articuler la grammaire universitaire et la grammaire scolaire aura contribué à l’originalité de cet article.

le complément du nom
sur une analyse géniale de Gabriel Grossi
quel bonheur de recevoir
une leçon
de grammaire
de complément
de nom
voilà que les mots
se déshabillent
de leurs parures d’usage
qu’on ne voit plus
à force de les rabâcher
et qu’on retrouve
les alliances secrètes
les nécessités de nature
l’architecture implicite et baroque
grâce à quoi le langage
se déplace et court
de ligne en ligne
et de bouche en bouche
Et d’être tout nu
ou seulement dénudé
jusqu’à la cheville
grammaticale
voilà qu’il élève en nous
le désir
et la joie
de mieux le parler
de le caresser
dans le sens grammatical
du poil
nom commun
à tous les mammifères
que nous sommes
notre français aussi
est génial
Andrea *
° ! °
23-03-2021
*Andrea Marcolongo : « La langue géniale « ( ed.Les Belles Lettres)
J’aimeAimé par 1 personne
Merci . Ce que vous dites de la détermination qualitative antéposée m’a beaucoup intéressé.
J’aimeAimé par 1 personne
Je ne suis pas du tout à l’aise avec la notion de CDN (et c’est pas d’aujourd’hui) 😅. Donc je m’en remets exceptionnellement, totalement au manuel. Si je suis ta vidéo, j’en conclus qu’ils ont tort en plaçant la prop subordonnée relative et certains noms comme les noms propres ou d’autres expressions (tour Eiffel, rayon boucherie etc ) en tant que CDN ?
J’aimeAimé par 1 personne
Disons que la proposition subordonnée relative et les expressions que tu cites sont comparables à un complément du nom, mais n’en sont pas au sens strict de ce terme.
J’aimeJ’aime
OK c’est noté. Et du coup ce sont quoi ? Rayon boucherie / tour Eiffel ?
J’aimeAimé par 1 personne
Officiellement, des appositions. Notion compliquée qu’on n’enseigne surtout pas à nos petiots. Pour en savoir plus sur l’apposition, je te renvoie à l’article que j’ai consacré à cette notion.
J’aimeJ’aime