Dans les énoncés que nous construisons chaque jour, il est des mots essentiels, dont la suppression ruinerait l’intelligibilité même de la phrase. Il en est d’autres, au contraire, qui sont dispensables, au sens où leur suppression ne toucherait pas à la grammaticalité de la phrase. Cette distinction est d’autant plus intéressante qu’elle sert souvent de test pour distinguer différentes catégories grammaticales. J’ai donc pensé qu’explorer cette notion pouvait faire l’objet d’un article utile et original, qui sorte un peu des présentations habituelles.
1. Les compléments circonstanciels
Les compléments circonstanciels sont des groupes de mots supprimables par excellence. C’est même cela qui permet de les définir. Le terme de « complément » suggère déjà en lui-même le caractère d’information supplémentaire, annexe, donc dispensable, de ces groupes. Le mot de « circonstance » révèle également le caractère périphérique des informations apportées par rapport à une information principale (de circum-stare, « être autour »).
Certains grammairiens nomment les compléments circonstanciels des « compléments de phrase » : ils ne dépendent pas d’un élément particulier, mais de la phrase entière. Cela les rend mobiles, déplaçables, ce qui est le deuxième critère qui permet de les identifier. En effet, il ne faut pas se contenter du seul test de suppression, car nous allons voir qu’il est d’autres fonctions grammaticales supprimables.
Exemple : Chaque soir, il se promène au bord de la mer.
→ Les deux groupes soulignés peuvent être supprimés sans nuire ni à l’intelligibilité, ni à la grammaticalité de la phrase, et sans modifier sa signification globale. On peut dire : Il se promène. Les informations apportées par les compléments circonstanciels peuvent être considérées comme annexes par rapport au procès principal.
On notera que les compléments circonstanciels sont, en réalité, plus ou moins supprimables. En particulier, les circonstants adverbiaux ne le sont que faiblement.
Exemple : Il parle constamment.
→ Ici, le mot souligné constitue l’information la plus importante de la phrase, même si, en tant qu’adverbe, il occupe la fonction de complément circonstanciel de manière. Bien sûr, sa suppression n’entraîne pas de problème de syntaxe.
2. Certains compléments d’objet
Vous serez peut-être surpris de voir inclus les compléments d’objets dans cet article. En effet, les compléments d’objets sont réputés pour ne pas être supprimables. Pourtant, dans les faits, il y a bien des compléments d’objet que l’on peut supprimer sans produire pour autant une phrase agrammaticale. Mais la subtilité est que, en général, on modifie alors la signification globale de la phrase, ce qui les distingue des compléments circonstanciels. Aussi dois-je insister sur le fait qu’il faut plusieurs critères pour définir le complément d’objet, et que le test de non-suppression n’est pas le seul à entrer en ligne de compte.
Exemple : Il mange une pomme.
→ Dans cet exemple, typiquement, il est possible de supprimer le complément d’objet. En effet, la phrase « Il mange » est tout à fait correcte. Cela ne fait pas pour autant de « une pomme » autre chose qu’un complément d’objet. En effet, la phrase « Il mange » n’a pas tout à fait le même sens que la phrase « Il mange une pomme ». Le procès n’est pas le même. Le groupe « une pomme » est bien dépendant du verbe. En outre, il n’est pas déplaçable, et il est pronominalisable (Il la mange). Nous avons donc toutes les caractéristiques du complément d’objet direct.
Autre exemple : Il prend la pomme.
→ Cet exemple est très proche du précédent, et pourtant, cette fois-ci, il est tout à fait impossible de supprimer le complément « la pomme ». La phrase « Il prend » n’est pas correcte grammaticalement, dans la mesure où le verbe prendre ne peut s’employer sans complément. Cela nous rappelle que, dans la plupart des cas, il n’y a aucune ambiguïté sur l’impossibilité de supprimer le complément d’objet. La règle générale reste la suivante : les compléments d’objet sont non-supprimables, non-déplaçables et pronominalisables.
3. Les groupes détachés
Les groupes détachés sont un ensemble assez divers de fonctions grammaticales, qui n’ont en commun que le fait d’être encadrés de virgules. Ce détachement les rend assez indépendants du reste de la phrase, et leur permet d’être supprimés sans nuire à l’intelligibilité de la phrase.
3.1. Les « épithètes détachées »
On appelle désormais épithètes détachées ce que j’avais, durant ma scolarité, désigné du nom d’adjectifs apposés. Il s’agit d’adjectifs ou de groupes adjectivaux qui, du fait de leur détachement entre virgules, ne sont que faiblement rattachés au nom qu’ils qualifient. Ils sont, du fait, relativement supprimables.
Exemple : Ma mère, très heureuse, a accepté cette invitation avec plaisir.
→ Le groupe souligné peut être supprimé sans nuire à la compréhension de la phrase, et sans produire une phrase agrammaticale. Il s’agit d’un groupe adjectival qui occupe la fonction d’épithète détachée du nom « mère ».
3.2. Les propositions relatives explicatives
Les propositions relatives explicatives ont, grammaticalement, une fonction très proche de celles des épithètes détachées. Elles aussi ne sont que faiblement rattachées au nom qu’elles qualifient. Le détachement entre virgules marque de façon visuelle ce lien distendu.
Exemple : Ma mère, qui était très heureuse, a accepté cette invitation avec plaisir.
→ Le groupe souligné est, là encore, aisément supprimable sans nuire à la compréhension de la phrase. Cette proposition relative est ainsi dite explicative, par opposition aux propositions relatives déterminatives, plus étroitement associées au nom qu’elles complètent.
3.3. Les incises
Les incises sont par excellence des groupes supprimables, puisqu’elles représentent des sortes de parenthèses dans la phrase.
Exemple : « Le poisson, disait-elle, c’est bon pour la mémoire. »
→ Le groupe souligné se nomme une incise. C’est une sorte de parenthèse, ou de phrase incluse dans la phrase. On peut la supprimer sans nuire à la grammaticalité de la phrase. Bien sûr, ce faisant, on modifie en revanche le sens global de la phrase, puisqu’on enlève la mention de l’énonciateur.
4. Certains satellites du nom
Je vais maintenant évoquer le cas de certains constituants du groupe nominal, dont la suppression ne produit pas de phrase agrammaticale. Je tiens cependant à préciser d’emblée que, contrairement à ce que l’on fait lorsqu’on supprime un complément circonstanciel, on touche ici à la signification de la phrase. En supprimant certains satellites du nom, on produit des phrases grammaticales, mais qui n’ont pas le même sens que la phrase de départ : on a supprimé des éléments qui n’appartiennent pas à des groupes annexes ou périphériques.
4.1. Les adjectifs qualificatifs épithètes
Contrairement aux adjectifs détachés évoqués plus haut, les épithètes sont beaucoup plus fermement rattachés au nom qu’ils qualifient. Ils font pleinement partie du groupe nominal. Pour filer la métaphore astronomique, on pourrait dire que les adjectifs épithètes sont des satellites du nom, alors que les adjectifs détachés sont des comètes qui, si elles gravitent bien autour du nom, le font de manière beaucoup plus distante. Il n’en reste pas moins que la suppression des adjectifs qualificatifs épithètes n’entraîne pas d’erreur de syntaxe, ce qui permet d’ailleurs aux élèves des classes primaires de s’entraîner à ajouter et à supprimer des adjectifs (et cela constitue un excellent exercice).
Exemple : Le jardinier épuisé décida de terminer son travail le lendemain.
→ La suppression de l’adjectif souligné ne pose aucun problème quant à l’intelligibilité de la phrase. Cependant, il fait pleinement partie du groupe nominal.
4.2. Certains compléments du nom
Les compléments du nom sont, eux aussi, des satellites du nom. Or, il est intéressant de constater que tous ne sont pas supprimables avec la même facilité.
De fait, certains compléments du nom apportent des informations annexes sur le nom, mais leur suppression n’empêchent pas de savoir à peu près de quoi on parle.
Exemple : La débroussailleuse de mon grand-père se trouve dans la remise.
→ Le complément du nom apporte une information certes utile, mais dispensable. On peut le supprimer sans produire une phrase agrammaticale, et la signification globale de la phrase reste inchangée.
En revanche, d’autres compléments du nom se révèlent nécessaires à l’identification du nom, au point qu’ils finissent par constituer avec ce nom une sorte de mot composé. On remarquera que, bien souvent, dans ce cas, le complément du nom ne comporte pas de déterminant.
Exemple : La planche à voile se trouve dans la remise.
→ Le groupe souligné n’est absolument pas supprimable. Il est nécessaire à l’intelligibilité de la phrase : une planche à voile (ou à repasser, etc.) n’est pas une simple planche.
4.3. Les propositions relatives déterminatives
Comme nous l’avons indiqué plus haut, les propositions relatives déterminatives sont très fortement rattachées au nom auquel elles se rapportent, par opposition aux propositions dites explicatives (ces dernières étant généralement détachées entre virgules). Cela n’empêche pas qu’il est possible de les supprimer sans produire des phrases agrammaticales, mais on touche alors à la signification globale de la phrase.
Exemple : L’homme qui est entré s’appelle Adrien.
→ Ici, il n’y a aucune virgule. La précision « qui est entré » est essentielle. La subordonnée fait pleinement partie du groupe nominal. Pour autant, on peut la supprimer sans produire de phrase agrammaticale. C’est d’ailleurs un exercice de grammaire courant que d’ajouter et de supprimer des subordonnées relatives. Mais, ce faisant, on touche à la signification globale de la phrase.
5. Quels sont les mots absolument impossibles à supprimer ?
Dès lors, il est utile de prolonger la réflexion en se demandant quels sont les mots, et groupes de mots, qu’il serait absolument impossible de supprimer.
♦ Il faut rappeler la bi-partition fondamentale de la phrase en deux grands groupes : le thème (ou groupe sujet) et le prédicat (ou groupe verbal). Ces deux grands groupes sont essentiels, par opposition aux compléments circonstanciels.
♦ Nous avons vu que les compléments d’objet sont généralement impossibles à supprimer, même si, dans certains cas, leur suppression n’engendre pas d’incorrection grammaticale. En revanche, les attributs du sujet (qui sont aussi des compléments essentiels) sont absolument nécessaires.
♦ Parmi les constituants du groupe nominal, il en est deux qui sont indispensables : le nom lui-même, bien entendu, et généralement le déterminant qui permet de l’actualiser et de le quantifier. Les autres constituants relèvent de ce qu’on appelle le groupe nominal étendu, ce qui veut bien dire qu’ils ne sont pas indispensables.
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