Je vais vous raconter aujourd’hui l’histoire d’un canular vraiment bien ficelé. Il n’est pas rare d’entendre, en particulier le premier jour d’avril, les histoires les plus invraisemblables. On devine, bien entendu, la jubilation de ceux qui prennent ainsi leur lecteur au piège. Pour que l’exercice soit réussi, il faut arriver à faire passer pour plausibles les choses les plus abracadabrantes. C’est ainsi que la prestigieuse collection « Écrivains de toujours » chez Seghers, qui a édité de très sérieuses monographies sur de nombreux auteurs, a consacré son centième numéro à un écrivain qui n’a jamais existé. Comment a-t-elle réussi à faire croire à son existence ?
Un canular crédible
La réussite du canular tient à plusieurs points :
- Le choix d’une collection prestigieuse fait que le lecteur s’attend à une publication sérieuse. L’ouvrage reprend la même forme et les mêmes contenus habituels que les autres numéros de la collection. Toute bonne parodie doit ressembler à son modèle, de manière à rendre le canular crédible.
- La présence d’un carnet photographique, conformément aux pratiques courantes de la collection, permet de donner de l’épaisseur à ce qui ne serait, sans celui-ci, qu’un nom. Ici, cet écrivain imaginaire se voit doté d’un visage et d’un corps. Le fait qu’il y ait plusieurs photographies de la même personne à des époques différentes confère une épaisseur concrète au personnage.
- Le respect de l’horizon d’attente du lecteur joue aussi beaucoup sur la crédibilité du canular : on trouve une biographie, des extraits commentés, des fac-similés de documents, une notice bibliographique…
- Le choix d’un écrivain décédé permettait sans doute de justifier du faible nombre de références faites à cet auteur en dehors de cet ouvrage. Prétendre que cet auteur imaginaire était hyper-célèbre aurait été beaucoup moins crédible, car il aurait alors paru anormal que personne ne le connaisse…
- La complicité d’amis qui ont permis de laisser planer le doute, avant que la supercherie ne soit révélée.
Une parodie de « l’écrivain »
Si ce canular est une parodie, de quoi se moque-t-il ? Sans doute de la figure de « l’écrivain » lui-même, et de tous les stéréotypes qu’elle véhicule. Le portrait de couverture s’inscrit ainsi dans le cliché du « beau brun ténébreux ». La mort précoce de l’auteur renvoie au motif du « poète maudit » qui n’a pas rencontré le succès de son vivant. Les différentes photographies se moquent gentiment de la tendance des grands écrivains à « prendre la pose », et de celle de leurs lecteurs à se montrer curieux du moindre détail des « coulisses » de l’écriture, de la vie privée de l’écrivain, de son enfance, de ses lieux d’écriture. Il n’est pas rare que les auteurs soient interrogés sur leurs moments préférés pour écrire, sur leurs outils d’écriture, etc., révélant la fascination du public pour des détails qui n’ont pas nécessairement de signification.
Mythographie et biographèmes
Je dois donc remercier Paul Léon, enseignant à l’Université de Nice, qui m’a fait connaître cet ouvrage et ce canular, dans le cadre de son cours sur la « mythographie » et les « biographèmes » de l’écrivain. Les lignes qui précèdent sont largement inspirées des notes que j’avais prises en cours. Je trouve assez génial qu’une collection aussi sérieuse ait fait preuve d’autodérision en s’autorisant à pratiquer le canular et la parodie.

Image d’en-tête : une machine à écrire sur un bureau en bois (Image par Free-Photos de Pixabay)
Un peu comme le canular mathématique auquel mon père participa activement, la création d’un mathématicien de toute pièce : Nicolas Bourbaki ! 😂
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A l’époque je suis tombé dans le panneau, je n’ai eu de doutes que vers la fin du livre. Mais j’étais très loin de Paris, et la collection Écrivains de toujours était si sérieuse !
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