J’ai eu l’heur de voir défiler sur mon mur Facebook cette intéressante question. Cela me semble un sujet tout trouvé pour la causerie d’aujourd’hui.
Une créature imaginaire
Au risque de décevoir mon lecteur, mais sans doute sans le surprendre, je commencerais par dire qu’il est bien entendu impossible de définir « l’écrivain français ». On ne peut pas décrire ce qui n’existe pas. Il y a des écrivains, au pluriel, dans toutes leurs différences : des illustres et des inconnus, des jeunes et des vieux, des hommes et des femmes, des contemporains et des plus anciens, des conservateurs et des anticonformistes.
Quand bien même l’on trouverait des points communs entre plusieurs écrivains français, rien n’indiquerait que ces traits soient partagés par tous les écrivains français, et surtout, qu’ils ne le soient pas également par des écrivains étrangers. Poser la question de la définition de « l’écrivain français », c’est peut-être risquer d’entrer dans une caricature d’un soi-disant « esprit français », voire dans un exercice d’auto-glorification facile, qui reviendrait de facto à nier sans le dire la grandeur des littératures étrangères.
Que cela soit donc bien clair : les Dante, les Cervantès, les Shakespeare, les Goethe, les Dostoïevski (pour ne nommer qu’eux) sont là pour nous rappeler que les littératures étrangères n’ont bien souvent rien à envier à la nôtre, évidemment. De fait, nos meilleurs écrivains font référence aussi bien au génie étranger qu’au génie national. La Comédie humaine de Balzac s’inspire par son titre de Dante, et Victor Hugo lui-même ne cache pas tout le bien qu’il pense de Shakespeare. Aussi convient-il de ne pas transformer la question de la définition de « l’écrivain français » en l’expression d’un chauvinisme mal placé.
Une mythologie de l’écrivain

Décrire « l’écrivain français » est cependant possible si l’on admet que l’on ne décrit pas une personne réelle, ni même une synthèse de plusieurs personnes réelles, mais, plus simplement, plus vaguement, l’idée que se font les gens de ce qu’est censé être un « écrivain français ». Il s’agirait alors d’un personnage imaginaire, une représentation populaire de ce qu’est censé être un écrivain.
Paul Léon, enseignant-chercheur à l’Université de Nice dont j’ai suivi les cours, a précisément choisi de s’intéresser à ces figures de l’écrivain dans la littérature et le cinéma français. Il montre que, lorsque l’écrivain est porté à l’écran, la vérité biographique rencontre souvent des éléments mythiques. Les deux dimensions sont à ce point entremêlées que les biographèmes eux-mêmes peuvent venir renforcer le mythe.

Peut-on penser à Sartre sans sa pipe et ses cheveux gominés ? À Rimbaud sans avoir à l’esprit les images placardées par Ernest Pignon-Ernest ? On se rend compte que les grands écrivains sont devenus, plus que des hommes, de véritables mythes. Ils sont devenus des légendes, que ce soit volontairement ou contre leur gré.
Je ne crois pas me tromper en affirmant que, dans la représentation populaire, l’écrivain est un être exceptionnel. Plus qu’un homme, il est un être habité par une qualité supérieure. De fait, il n’est quasiment pas d’homme politique qui n’ait publié un livre : avoir publié un livre, ça donne du lustre à votre aura. Il y a, je pense, une forme de vénération populaire de l’écrivain. Il faut voir comment on conserve les outils d’écriture de certains grands écrivains pour les exposer dans des musées.
Certes, cette vénération n’a peut-être rien de spécifiquement français, mais il me semble malgré tout que les Français entretiennent un rapport privilégié avec la littérature, même si une telle affirmation est déjà en soi un stéréotype qui ne vaut peut-être pas mieux que « les Français sont des mangeurs de grenouilles ».
La panoplie de l’écrivain
Aussi, peut-être parviendra-t-on à décrire « l’écrivain français » en observant ceux qui souhaiteraient appartenir à cette noble famille et, partant, cherchent à lui ressembler. Ce faisant, on ne recueillerait rien d’autre que des stéréotypes, des clichés, autrement dit des éléments bien trop superficiels pour constituer la vérité d’une personne, mais qui, malgré tout, donnent des renseignements sur la façon dont est perçu l’écrivain dans l’imaginaire collectif.
Que feriez-vous si vous vouliez ressembler à un écrivain ? Sans doute ne vous promèneriez-vous pas sans quelque livre sous le bras. Peut-être même aimeriez-vous à vous faire prendre en photographie devant des murs de livres. Peut-être diriez-vous à qui veut bien vous croire que vous avez une relation très forte et très particulière avec votre stylo. « L’écrivain français » se doit peut-être aussi d’être mieux vêtu que la moyenne, du moins avec un peu plus de recherche, avec une volonté de manifester une singularité artistique dans l’apparence même. Et puisqu’il s’agit de l’écrivain français, quitte à enfiler les stéréotypes, on le fera amateur de bons vins et spiritueux. Bien évidemment, « l’écrivain français » est parisien, même si, dans les faits, on peut écrire n’importe où. Et, cela va de soi, « l’écrivain français » est un homme.
Autre stéréotype : « l’écrivain français » n’est pas reconnu à sa juste valeur de son vivant. Il a, bien évidemment, galéré avant de connaître le succès. Comme Proust, son premier éditeur n’a pas su mesurer son talent.
Ah, j’allais oublier ! « L’écrivain français », s’il est censé être un expert de l’écrit, est tout aussi à l’aise à l’oral. Il aime à briller dans les conversations. S’il vit au XIXe siècle, on le verra animer les salons littéraires. S’il vit de nos jours, on l’entendra disserter à la télévision et à la radio sur les sujets les plus divers, à propos desquels il fait des remarques insolites, surprenantes ou du moins décalées, car, c’est connu, les écrivains ne pensent pas comme tout le monde. On attend de lui qu’il ait un avis sur tout, et qu’il fasse résonner la langue française avec panache. Tous les écrivains français sont censés avoir quelque chose du « Cyrano » de Rostand.
Le cas « Marguerite Duras »
Dans le cadre des cours de Paul Léon dont j’ai parlé, j’ai eu à faire un exposé sur le film Cet amour-là de Josée Dayan, qui donne à voir la relation singulière que connurent Marguerite Duras et Yann Andréa. Le film est très proche de la réalité autobiographique telle qu’elle a été racontée par les deux écrivains eux-mêmes, l’une dans L’été 80 et dans Yann Andréa Steiner, l’autre dans Cet amour-là. Mais le « mythe de l’écrivain » joue malgré tout à plein…
En effet, le spectateur du film a un certain horizon d’attente : il sait qu’il va voir un film sur l’une des plus grandes écrivaines françaises du XXe siècle. Et, de fait, le personnage de Marguerite Duras, incarné par Jeanne Moreau, correspond au « mythe de l’écrivain ». Le personnage est totalement engagé dans l’écriture. Le film montre une Duras pour qui il n’y a quasiment rien d’autre qu’écrire. On nous montre les lieux de l’écriture, la machine à écrire dans une chambre rendue obscure par des persiennes fermées.
Le spectateur s’attend aussi à une certaine excentricité de l’écrivain. De fait, le film nous montre un personnage atypique, une personnalité forte, dont les propos n’ont rien de banal même lorsqu’il s’agit de conversations quotidiennes, précisément parce que ce sont des propos qui sortent de la bouche d’un écrivain. Par exemple, dans le film, il est un moment où Marguerite Duras dit que Capri c’est fini est la plus grande chanson du monde : c’est une opinion qui, prononcée par une autre personne, eût semblé discutable…
*
Alors, peut-on décrire « l’écrivain français » ? Si l’on parle des écrivains réels, non, tant il est vrai qu’ils sont différents entre eux. Si l’on parle du stéréotype de l’écrivain français, oui, mais heureusement, les écrivains ne sont pas obligés de coller au stéréotype !
Pour finir, j’aimerais bien savoir comment vous, vous le voyez, cet « écrivain français »-type, cet être qui n’existe pas mais dont nous avons tous une représentation. Pour vous, à quoi ressemble « l’écrivain français » ? N’hésitez pas à donner votre avis dans l’espace des commentaires !

Image d’en-tête : Balzac (Wikimedia Commons).
Un écrivain avec un béret et une baguette sous le bras et qui râle tout le temps?
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Un écrivain français n’a que peu de rapports avec une caricature ou une allégorie françaises…
Pour commencer, on pourrait dire que souvent, un grand écrivain français est méconnu de son vivant : exemple Stendhal.
Ensuite, un tel écrivain n’est pas forcément irréprochable pour son style…
Mais ce qui le différencie des autres, c’est le caractère frondeur, émeutier, avocat des causes indéfendables de son époque…
Enfin, il reste en son pays, il est peu voyageur, même s’il voue un culte à un autre pays.
Exemple, chez Balzac ( Honorine ) :
» Un Français à l’étranger est comme un arbre déplanté » !
Pour tout cela, Balzac fait l’affaire…
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Alexandre Dumas, pour sa générosité.
L’écrivain ne peut vivre » comme tout le monde ». Il est souvent incompris de son voisinage, par exemple, jusqu’à ce qu’il ou elle ait » sa photo dans le journal « .
Il se doit de s’exprimer avec élégance, mais parfois avec force.
Il m’arrive de m’adapter.
Et j’ai eu la stupéfaction de lire dans un forum qu’on pensait que je devais être bi- ou bien qu’un homme écrivait à ma place. Comme si je devais tremper ma plume tout le temps dans le sirop !!!
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