L’accord du participe passé est une question qui peut devenir épineuse. Si la règle générale est assez simple et permet de s’en tirer dans la plupart des cas, il est aussi des subtilités assez délicates. Dans un précédent article, j’avais détaillé les principales difficultés. On m’a récemment posé la question pour « s’apercevoir », et, de but en blanc, j’ai fourni une explication qui n’était pas la bonne. Mea culpa. J’ai donc voulu en avoir le coeur net. D’où cet article.
Apercevoir
Le verbe apercevoir a plusieurs emplois :
- Un emploi transitif, plus ou moins synonyme de « voir »
- Un emploi réciproque, signifiant « se voir l’un l’autre » : ils marchaient l’un vers l’autre, et soudain ils se sont aperçus.
- Un emploi imagé, où « s’apercevoir » n’a plus aucun lien avec la vision, mais signifie « se rendre compte ».
La règle d’accord des verbes pronominaux
Même si les verbes pronominaux utilisent l’auxiliaire être, la règle d’accord fait penser à ce que l’on connaît pour le verbe avoir : le participe s’accorde avec le COD si, et seulement si, il est antéposé. Exemples :
- Elles se sont lavées (elles ont lavé elles-mêmes)
- Elles se sont lavé les mains (ici se n’est pas COD puisque c’est « les mains »)
- Ils se sont écrit des lettres (se est COI)
- Les lettres qu’ils se sont écrites (accord avec le COD antéposé)
- Elles se sont succédé à la tribune où elles se sont injuriées (le pronom est COI dans le premier verbe et COD dans le deuxième, d’où des accords différents)
Toute la difficulté est donc d’analyser la fonction de « se ».
S’apercevoir
- Dans l’emploi réciproque, se est bien COD et on va donc accorder avec lui. Elles étaient dans la rue quand elles se sont aperçues (elles ont aperçu elles-mêmes).
- Dans l’emploi imagé au sens de « se rendre compte », le mot se ne peut pas être analysé comme un COD. C’est pourquoi j’aurais eu tendance à dire qu’on n’accordait pas avec « se ». Ce qui n’est pas faux. Sauf que… quand ce « se » est inanalysable, qu’il n’a pas de fonction identifiable, on accorde avec le sujet.
On écrira donc : Elles se sont aperçues qu’il s’était trompé.
Dans cet exemple, l’accord au féminin pluriel correspond donc à un accord avec le sujet « elles », dû au fait que le « se » est inanalysable.
Se rendre compte
Mais alors, qu’en est-il de la tournure proche « se rendre compte » ? Eh bien, celle-ci est invariable, car le « se » est analysable et constitue un COI (on rend compte à soi-même). On aura donc :
- Elles se sont rendu compte que tout cela n’est pas si facile.
J’espère que cet article vous aura été utile. L’accord du participe passé des verbes pronominaux est pour moi une « zone orthographiquement dangereuse », où je sais que l’on a vite fait de se tromper. Désormais, cet article m’aidera à ne plus me tromper. Quant à mes chères collègues que j’ai induites en erreur, qu’elles veuillent bien accepter l’expression de mes plus sincères excuses.
Merci pour ces précisions bien utiles. Je redoute ces accords de participe passé. Continuer à nous donner de bons conseils afin d’avoir des chroniques correctement rédigées. Bonne journée
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Merci à vous !
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C’était si difficile qùu tableau, petites et grands, ceux qui comprenaient cette règle ( folle) venaient m’aider à faire comprendre… Extraordinaire!
Françoise Sérandour qui a enseigné à tous les âges et partout, ici et ailleurs !
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« s’apercevoir » est ce que l’on appelle un verbe accidentellement pronominal. Comme « se » ne peut être analysé ni comme COD ni comme COI, on accorde le participe passé avec le sujet :
« elles se sont aperçues qu’elles s’étaient trompées ».
Autre exemple de verbe accidentellement pronominal :
« elles se sont mises au travail ».
Vous ne dites pas : « elles se sont mis au travail » ?
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A toutes fins utiles, je me permets de mettre le lien vers l’article que j’ai consacré, sur mon site, à l’accord du participe passé des verbes pronominaux. Dans la catégorie « Grammaire » à laquelle cet article appartient, il y a d’autres articles sur l’accord du participe passé :
https://www.francoisenore.com/articles/l-accord-du-participe-passe-des-verbes-pronominaux?fbclid=IwAR3ozr57PIHs9hat0K7r036cs4yL9M3DBAqUYUnbFDBxU3yCBixmvzlxgrw
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Je vous remercie pour ces précisions. Votre article est vraiment très complet et fait état de subtilités dont je n’avais pas connaissance. J’ai bien l’impression qu’il est fort difficile de mémoriser tout cela, et qu’à moins de garder votre article sous le coude, on a vite fait de se tromper.
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Un lecteur sur un groupe Facebook me fait part d’autres exemples fort savoureux :
1. Le Grec et le Latin se sont parlé très longtemps. [on parle de deux personnes]
2. Le grec et le latin se sont parlés très longtemps. [on parle de deux langues]
1. Elle s’est servi du gâteau dans son assiette. [elle a servi à elle-même du gâteau, donc SE est COI, donc on n’accorde pas avec SE]
2. Elle s’est servie du gâteau comme projectile. [« se servir » est ici une locution figée où « se » n’est pas analysable, donc on accorde avec le sujet]
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Personnellement, je me suis plu, in illo tempore, à apprendre et à maîtriser les règles d’accord du participe passé des verbes pronominaux. Pourtant, elles sont totalement factices.
Elles remontent au grammairien François de Malherbe (1555-1628) qui, d’autorité, les a alignées artificiellement sur celles du part. passé employé avec l’auxiliaire ‘avoir’, chaque fois qu’il pouvait mettre le tour pronominal en rapport avec le tour non pronominal transitif direct, indirect ou mixte. Auparavant, et depuis toujours, sans exception, le part. passé de tous les verbes pronominaux s’accordait avec le sujet.
Ainsi, en ancien français, on disait ‘je me sui vengiez’ « je me suis vengé », ‘je me sui venduz’ « je me suis vendu », avec, au part. passé, la désinence -z du cas sujet masculin singulier ; ‘il se sont entreferu’ « ils se sont ‘entrefrappés’ », avec, au part. passé et au pronom sujet ‘il’, la désinence zéro du cas sujet masculin pluriel. Observez, malgré les fonctions différentes de ‘se’, tantôt COI tantôt COD, le parallélisme entre, d’une part,
‘il s’est donez colp’ « Il s’est donné un coup » vs ‘il se sont doné cols’ « ils se sont donné des coups », avec ‘donez’ cas sujet singulier, ‘colp’ cas régime singulier, ‘doné’ cas sujet pluriel, ‘cols’ cas régime pluriels, avec se COI ;
et, d’autre part, ‘il s’est loez’ « il s’est loué » vs ‘il se sont loé’ « il se sont loués », avec ‘loez’ cas sujet singulier, ‘loé’ cas sujet pluriel, avec se COD.
A remarquer : en ancien français, la forme du cas régime pluriel était -z, homophone donc du cas sujet singulier . Le cas sujet disparut et le cas régime triompha. Malgré Malherbe, on rencontre encore couramment en français classique, et même parfois jusqu’au XVIIIe s. des accords de ce genre, avec -z ou sa variante moderne -s au pluriel, sans parler du féminin. Voici des exemples repris principalement à Grevisse et Goosse, tels quels ou simplifiés.
Ils se sont parlés.
Ils se le sont imaginez.
Il se sont proposez de les imiter.
Nous sommes rendus tant de preuves d’amour.
Ils se sont donnez l’un à l’autre une promesse de mariage.
Une femme s’est mise en tête que … .
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« Factice » ! « Arbitraire » ! Ce qui est factice ne dure généralement pas. Or ces règles sont en vigueur depuis plusieurs siècles. Les pratiques antérieures étaient anarchiques, peu codifiées. Ces règles sont d’ailleurs aussi très logiques. Elles appuient, renforcent l’analyse grammaticale en même temps qu’elles la facilitent. Le tout forme un ensemble diablement bien huilé. Quant à leur utilité, les exemples donnés notamment par Julien Soulié (ci-dessus) nous la démontrent amplement. Ces règles sont fines, subtiles, comme les arcanes de ces pensées qu’elles permettent bien souvent de mieux pénétrer.
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