Y a-t-il vraiment une « désinstruction nationale »?

Je souhaiterais aujourd’hui réagir à un article récemment paru dans les colonnes de Figaro Vox. Il s’agit d’un entretien entre la journaliste Marguerite Richelme et le professeur de philosophie René Chiche, auteur d’un livre intitulé La Désinstruction nationale.

L’école accusée

Pour René Chiche, l’école « n’instruit plus ». Pour étayer cette opinion, il se fonde sur les copies du Baccalauréat, qu’il juge indigentes, à la limite de l’illettrisme. C’est essentiellement de la maîtrise de la langue qu’il traite dans cet article : selon lui, les élèves ne sont pas suffisamment capables de se faire comprendre à l’écrit.

Ce faisant, René Chiche tire à boulets rouges sur l’école. Les termes qu’il emploie sont forts, puisqu’il parle de « désinstruction », de « non assistance à jeunesse en danger », d’esprits laissés « en jachère ».

Que le système éducatif français soit perfectible, c’est là une évidence. Mais parler de « désinstruction nationale », c’est considérer qu’il ne vaut pas grand-chose. C’est, me semble-t-il, faire bien peu de cas du travail quotidien de milliers de professeurs, qui œuvrent chaque jour à faire progresser leurs élèves.

Si le niveau moyen des élèves est insuffisant, il est un peu rapide d’en attribuer l’entière responsabilité à un système éducatif qui est certes loin d’être parfait, mais qui a malgré tout des mérites indiscutables. Obligatoire, gratuite et laïque, notre école est implantée dans tous les territoires de la République, et elle essaie de faire progresser tous les élèves. Ce n’est pas rien.

Une problématique plus vaste

Parler de « désinstruction nationale », c’est en somme imputer les insuffisances de niveau des élèves à l’école elle-même. Il me semble pourtant que le problème est beaucoup plus large, et qu’il importe d’avoir une vision d’ensemble. Il me semble essentiel de rappeler que l’école seule ne peut pas tout. Elle n’est pas isolée du reste de la société. Elle subit, comme tout le reste, les difficultés qui sont celles de l’ensemble des citoyens. La pauvreté, le chômage, le travail précaire, la pollution… Nombreux sont les problèmes qui n’ont en apparence rien à voir avec l’école, et qui, en réalité, rejaillissent sur elle.

Les copies anonymes du baccalauréat permettent de constater une faiblesse de la maîtrise de la langue, mais elles ne disent rien de ses causes. Elles ne disent rien des parcours personnels des élèves concernés. Bien souvent, les problèmes ne sont pas seulement d’ordre scolaire. Bien souvent, une multitude de facteurs viennent expliquer les difficultés que rencontrent les élèves. Des causes qui trouvent leur origine bien au-delà des grilles de l’école, si bien que, comme je l’ai déjà écrit ici ou là, c’est sur la société dans son ensemble qu’il faut agir.

On fait autant pour l’école, voire bien davantage, en résolvant des problématiques de chômage, de précarité, de santé publique, d’environnement, qu’en modifiant des programmes éducatifs. Je rappelle que, dans une société où il y a du travail pour tout le monde, le fait de ne pas exceller à l’école n’est plus un problème aussi cuisant. La raréfaction des emplois épanouissants met une pression énorme sur les élèves et leurs familles.

« Traditionalistes » et « pédagogistes »: un faux débat

Dans l’interview du Figaro, sont opposés deux types de professeurs. Il y aurait, d’une part, des professeurs « traditionalistes », attachés à « un enseignement classique, historiquement républicain », qui feraient leur travail en silence, sans chercher à être applaudis, et, d’autre part, des enseignants « pédagogistes », soupçonnés d’accompagner l’échec plutôt que de lutter contre lui, qui chercheraient « à intéresser au lieu d’instruire » voire soutiendraient la paresse de leurs élèves.

Il me semble, pour ma part, qu’il s’agit là d’une opposition factice. Je ne crois guère me tromper en affirmant que la plupart des professeurs, lorsqu’ils préparent leurs cours, piochent ici et là les idées, les contenus et les procédés qu’ils jugent bons, s’adaptent à la réalité de leurs élèves et cherchent à les faire progresser par tous les moyens, si bien que l’on serait bien en peine de définir qui est l’Ancien et qui est le Moderne — pour faire allusion à la fameuse Querelle que connurent les écrivains du XVIIe siècle, et où les deux partis opposés comptèrent d’excellents écrivains.

Le professeur qui récite un poème en le théâtralisant a une posture très magistrale, et serait donc « classique », mais cherche aussi à susciter l’intérêt de ses élèves, et serait donc « pédagogiste ». Le professeur qui propose une technique de résolution des opérations au tableau procède d’une manière qui n’a pas tellement changé depuis des dizaines d’années, et serait donc « classique », mais il suffit qu’il propose des aides différentes selon les besoins de ses élèves pour qu’il soit simultanément « pédagogiste ». On le voit, cette opposition ne tient pas.

Enfin, il n’y a pas lieu d’opposer intéresser et instruire. Aucun professeur ne se contente d’intéresser les élèves, comme s’il s’agissait simplement de les divertir sans rien tenter de leur apprendre. Mais aucun professeur, à mon avis, ne pense qu’on peut se passer d’intéresser les élèves. Il n’y a rien d’avilissant au fait d’être intéressant, au fait de se mettre à la portée des élèves, et cela ne signifie certainement pas qu’on se fait moins exigeant.

*

Des choses à améliorer, il y en a. Avec une diminution du nombre d’élèves par classe et une meilleure prise en charge des élèves en difficulté, on pourrait déjà résoudre un certain nombre de problèmes. En attendant, les professeurs font de leur mieux, avec les moyens dont ils disposent, pour faire progresser leurs élèves.

Image d’en-tête : Des enfants qui étudient. Image par klimkin de Pixabay.

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3 commentaires sur « Y a-t-il vraiment une « désinstruction nationale »? »

  1. Le non-enseignement de l’Histoire à l’école est une réalité et un désastre. Pas uniquement en France. Or le fait de passer sous silence des faits majeurs de l’Histoire (y compris des crimes contre l’humanité comme la traite arabo-musulmane ou encore le génocide grec pontique par ex.) a des conséquences très graves : c’est pain béni pour les dangereux/ses extrémistes de la société ! Et puis il y a les périodes dont l’enseignement autrefois obligatoire est devenu facultatif. En guise d’anecdote quand j’étais au lycée (dans les années 1990) notre prof d’Histoire avait tout simplement décidé de faire l’impasse sur la période napoléonienne. Exit le 1er Empire ! Tout cela parce qu’un professeur abusant de ses prérogatives en avait décidé ainsi…Autre exemple vécu : une prof d’Histoire qui niait l’existence de l’embargo américain sur Cuba et faisait l’apologie de la croisade contre les Cathares !…

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