« Il n’y en a pas assez »

Les phrases en apparence les plus simples ne sont pas toujours les plus faciles à analyser. Sans nous en rendre compte, nous sommes, dès le plus jeune âge, dotés d’une intuition grammaticale qui nous permet de produire des phrases que nous aurions parfois du mal à analyser correctement. Je vais aujourd’hui faire toutes les remarques nécessaires pour analyser cette phrase très banale : « Il n’y en a pas assez ».

« Il n’y en a pas assez. »

Une phrase à présentatif

« Il y a » est ce qu’on appelle un présentatif. C’est une tournure figée qui permet de présenter quelque chose, ou d’énumérer un certain nombre de réalités présentes en un endroit. En principe, on analyse cette tournure comme un tout, puisque c’est bien ainsi qu’elle fonctionne.

En effet, le pronom « il » n’est pas employé pleinement comme un pronom. Il ne renvoie à aucun référent. Il ne remplace aucun groupe nominal qui aurait pu être évoqué précédemment. Il ne désigne pas davantage une réalité extralinguistique présente dans la situation d’énonciation. Bref, il a perdu son sens premier pour devenir simple élément d’une tournure figée.

De même, le verbe avoir à la troisième personne du singulier du présent de l’indicatif ne renvoie ici à aucune notion de possession ou d’appartenance. Il est grammaticalisé.

Le pronom « y » appartient lui aussi à ce tour figé, mais conserve en partie son sens : « à cet endroit-là », l’endroit que je désigne ou dont je parle. On pourrait remplacer « il y a quelque chose » par « il s’y trouve quelque chose ».

Le pronom « en »

La nature du mot « en » est facile à établir puisqu’il s’agit d’un pronom. Celui-ci résume une réalité supposée connue. Il remplace un groupe nominal tel que « de l’huile », « de l’eau », « du pain », « de personnel soignant », bref des groupes nominaux qui incluraient un article partitif. Il serait donc tentant de faire de ce « en » un complément d’objet. Mais les compléments d’objet sont des compléments du verbe ; or, nous fenons d’indiquer qu’il n’y a pas dans cette phrase de véritable verbe. On dit alors que « en » est la « séquence du présentatif ». Ce terme de grammaire s’applique à tout ce que vous pourriez mettre derrière « il y a », « voici » ou « voilà ».

La négation

La phrase est ici à la forme négative, comme les mots « ne » et « pas » suffisent à l’attester. Mais l’adverbe « assez » vient modifier la portée de cette négation. Généralement, l’adverbe discordantiel « ne » amorce un virage vers le négatif que le mot « pas », dit forclusif, vient achever (forclore). Mais ici, la négation n’est pas totale. L’adverbe « assez » indique qu’il y en a bien, mais qu’il en manque. Il n’y a pas absence totale mais présence insuffisante. L’ensemble « pas assez » apporte le sens d’une négation partielle, dite aussi « nucléaire » en ce qu’elle ne porte que sur un noyau, et non sur la totalité, de la phrase. Seul l’adverbe « assez » est nié par la négation.

Bref, comme on le voit, une petite phrase toute bête peut malgré tout donner du fil à retordre…

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