Poésie et courage: Anna Akhmatova

Poursuivant ma petite suite d’articles consacrés au courage, thème du Printemps des Poètes 2020, je voudrais vous présenter aujourd’hui Anna Akhmatova, figure majeure de la poésie de langue russe du XXe siècle.

La survivante du stalinisme

Anna Akhmatova (Wikipédia)

Anna Akhmatova, de son vrai nom Anna Gorenko, est une poète russe née en 1889 et morte en 1966. Elle a donc vécu dans une période de profonds bouleversements. Elle avait 28 ans en 1917 à l’époque de la Révolution russe. Elle a connu l’ancien régime tsariste tout comme la Russie soviétique. On peut dire qu’elle a été au cœur de la tourmente du XXe siècle.

Après avoir vécu l’année 1917 comme un choc, Anna Akhmatova assiste au durcissement du régime soviétique. Son ex-mari est mort fusillé. Nombreux parmi ses amis sont ceux qui choisissent l’exil, mais Anna Akhmatova refusera toujours de quitter son pays. Elle connaîtra la misère, la solitude, la maladie. Elle se lie avec Nicolaï Pounine qui mourra lui aussi en déportation.

Elle-même connaîtra des démêlés avec le pouvoir en place, voyant son œuvre rejetée, notamment en raison de ses origines aristocratiques. Il y a une période pendant laquelle elle ne peut plus publier. En 1929, elle démissionne de l’Union des écrivains de Léningrad.

Pendant les années trente, elle parvient à nouveau à publier, mais cela reste des années sombres, marquées par la disparition, la déportation ou le suicide d’amis, de poètes et même de membres de sa propre famille. C’est au début des années quarante qu’elle écrit le Poème sans héros, qui parviendra à être publié, car Anna Akhmatova est alors défendue par les instances littéraires.

Puis survient la guerre mondiale, dont elle témoignera sans relâche, continuant à écrire jusque dans Léningrad assiégée par les forces allemandes, avant d’être évacuée à Tachkent, où elle retrouve des amis et s’insère dans la vie littéraire locale, tout en apprenant que son fils a été emprisonné.

Choisir d’inscrire Anna Akhmatova dans un cycle d’articles consacrés au courage est donc parfaitement justifié. Sa vie a été un enfer tel qu’il nous est impossible de l’imaginer, et a malgré tout trouvé la force de continuer à écrire, et d’être la voix de tous ceux qui ne pouvaient parler. Elle raconte avoir été apostrophée par une inconnue qui l’avait reconnue : « Et cela, vous pouvez le décrire ? » La poète est donc investie d’une mission consistant à témoigner de cet enfer.

Quelques citations

Source : Anna Akhmatova, Requiem, Poème sans héros & autres poèmes, trad. J.-L. Backès, Poésie/Gallimard, 2007.

1. « Les plus sombres jours de l’année
Ont pour devoir de devenir lumière.
Je ne trouve pas de comparaison
Pour dire la douceur de tes lèvres. » (p. 82)

2. « Je n’aimais guère la voix des hommes, mais je comprenais celle du vent. » (p. 184)

3. « Je dédie ce poème à la mémoire de ceux qui l’ont entendu pour la première fois, et à mes amis et concitoyens qui sont morts pendant le siège. J’entends leurs voix […] » (p. 234)

4. « Je n’ai que faire des odes et des bataillons,
Des subtiles élégies et de leurs séductions ;
Pour moi, il faut dans les vers que tout soit à côté,
Pas comme chez les gens. » (p. 312)

5. Le grondement des poèmes qui se taisent […] au milieu d’un silence inquiet » (p. 321)

6. « On entend au loin les voix du Requiem. » (p. 264)

7. « Voix inconnues, voix prisonnières,
Je les entends gémir et se plaindre. » (p. 311)

8. « Les sons se perdent dans l’éther,
L’aube se déguise en ténèbres.
Dans un monde à jamais muet,
Rien que deux voix : ta voix, ma voix. » (p. 225)

9. « Je ne prononce pas de prophéties ;
La vie est claire comme un torrent de montagne,
Simplement je n’ai pas envie de chanter
Au son des clés qui ferment les prisons. » (p. 276)

10. « Que faire ? L’ange de minuit
Parle avec moi jusqu’à l’aurore. »

11. « J’ai écrit beaucoup de vers,
Et, comme un chœur mystérieux,
Ils rôdent autour de moi, et peut-être
Un jour m’étoufferont » (p. 300)

12. « Visiblement, la catastrophe est proche,
Mais la mascarade brille,
Légère, insensée, impudente… » (p. 242)

13. « Les pierres tombales sont lourdes
Sur tes yeux brûlés d’insomnie » (p. 269)

14. « Non, je n’ai pas pleuré toutes mes larmes
Elles se sont amassées en moi.
Depuis longtemps mes yeux n’en ont plus,
n’en ont plus aucune,
et je vois le monde. » (p. 211)

Et, pour terminer, ce très beau texte sur le courage…

« Nos horloges sonnent l’heure du courage,
Et le courage ne nous abandonnera pas.
[…] Et nous te garderons, langue russe,
Immense parole russe,
Nous te porterons libre et pure,
Nous te transmettrons à nos descendants,
Et nous te sauverons de la captivité,
À jamais. » (p. 213)

J’espère que ces quelques citations vous auront donné un aperçu de la poésie d’Anna Akhmatova, de sa façon courageuse de dire l’horreur, de sa sensibilité qui n’est jamais sensiblerie alors qu’il y avait vraiment de quoi se sentir autorisé à se lamenter, de la force de cette voix féminine en apparence fluette, et de la beauté de sa poésie. N’hésitez pas à commenter, à dire quelle citation vous a le plus touché, voire à en proposer d’autres !

Image d’en-tête : l’hiver en Russie, Pixabay.

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8 commentaires sur « Poésie et courage: Anna Akhmatova »

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