Pourquoi -ph- se prononce-t-il [f] ?

Les élèves français qui apprennent à lire sont parfois surpris que, pour transcrire le son [f], on utilise parfois le digramme -ph-. Cette bizarrerie s’explique par des raisons étymologiques, dans des mots qui viennent du grec ancien. Christian Rose a apporté de plus amples explications sur Facebook, et m’a autorisé à les reproduire ici.

Une amphore, mot d’étymologie grecque avec la graphie -ph- (Pixabay)

On n’a pas, à proprement parler, décidé arbitrairement cela. Il s’agit de la conservation en français d’une orthographe latine translittérant le grec ancien. Lors des premiers emprunts du latin au grec, le φ se prononçait /pʰ/, autrement dit, simplement dit, /p/ aspiré, et pas encore /f/. A preuve, p. ex., ‘ampulla’ « petite fiole à ventre bombé » (d’où fr. ‘ampoule’), diminutif de ‘ampora’ (terme conservé seulement par les grammairiens latins avec cette orthographe) ; ‘ampora’ est une forme empruntée (et modifiée pour la finale) à gr. ἀμφορεύς /ampʰoréws/ « amphore ». En effet, le latin n’avait pas de phonème /pʰ/, aussi les premiers emprunts au grec rendaient-ils le φ /pʰ/ par un simple ‘p’, soit /p/ non aspiré.

Ampoule et amphore

Le mot « ampoule » a la même étymologie que « amphore », mais n’a pas conservé le graphème -ph-.
(Pixabay)

Quand l’orthographe latine tint compte de la réalité du phonème grec, elle rendit φ /pʰ/ par le digramme ‘ph’. Postérieurement, une fois que le φ fut passé en grec même à la prononciation /f/, qui est encore celle du grec moderne, le digramme ‘ph’ se maintint dans les mots d’origine grecque au lieu d’être remplacé par ‘f’. Aussi l’orthographe ‘amphora’ persista-t-elle même après que ἀμφορεύς fut passé de la prononciation /ampʰor…/ à /amfor…/ et alors que le mot latin se prononçait lui aussi /amfor…/ désormais, à l’instar du grec. Cependant, ‘ampulla’ resta inchangé parce que le rapport étymologique avec ἀμφορεύς n’était plus senti et que le terme était traité comme un mot latin natif.

Thêta et Khi

Une inscription grecque (Pixabay)

Parallèlement, pour translittérer les lettres grecques thêta θ /tʰ/ (/t/ aspiré, absent en latin) et khi χ /kʰ/ (/k/ aspiré, idem), on rencontre anciennement en latin ‘t’ et ‘c’ prononcés /t/ et /k/, et non pas encore ‘th’ et ‘ch’ : par exemple, dans les inscriptions jusqu’au début du Ier s. a.C.n, on a ‘teatrum’ pour grec θέατρον /tʰ’éātron/ « théâtre », ‘baca’ pour βάκχη /bákkʰē/ « bacchante », plus tard, ‘theatrum’, ‘baccha’ (mais les manuscrits du comique Plaute [254-184] ont modernisé l’orthographe de ce dernier mot en l’écrivant ‘baccha’ au lieu de ‘baca’).

Un grand merci à Christian Rose pour m’avoir permis de reproduire cette intéressante explication dans cet article.

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3 commentaires sur « Pourquoi -ph- se prononce-t-il [f] ? »

  1. Le X grec (prononcé comme la jota espagnole, le « ach » allemand ou le « ch » de loch (nord de l’Angleterre), a été transcrit de diverses façons dans les langues modernes…
    En français, nous écrivons « Don Quichotte » [ki] où l’espagnol écrit « Don Quijote », mais nous avons conservé le « X » dans « donquixotisme »…
    À côté de l’espagnol « jeres » nous avons « xeres » en français (prononcé [kseres])…

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