Égypte

C’est une rue assez large, une avenue devrait-on dire, qui disparaît presque entièrement derrière les mouvements de la foule, dense mais non compacte puisqu’on ne décèle aucune cohérence dans les mouvements disparates des individus. Une voiture est arrêtée par la traversée d’un âne chargé de sacs blancs. Les injures répondent aux coups de klaxon.

Personne, pourtant, ne semble véritablement pressé. On recherche l’ombre des grands arbres. Les visages se protègent, derrière des tissus de différentes couleurs, du sable et du soleil.

Au sommet de la rangée d’immeubles, les fils électriques s’enchevêtrent en un entrelacs inextricable, rafistolés avec plus ou moins de bonheur à un poteau branlant. L’ensemble fonctionne sans que personne ne s’en étonne.

Derrière les immeubles, dans une ruelle bien plus étroite, et parallèle à la première, s’étend le marché. La viande et le poisson reposent à même le sol, simplement recouvert de papier journal. On trouve, dans des cartons, les objets les plus étranges : une poupée, un sèche-cheveux, un ventilateur, un rasoir.

Un mulet, portant sur le dos une charge plus volumineuse que lui-même, menace de faire s’écrouler les empilements d’assiettes. Les couleurs chaudes des épices dépassent des sacs de plastique dans lesquels ils sont entreposés, et expliquent l’origine des puissantes effluves qui embaument l’air encore brûlant du soir.

Une étrange poudre bleue, très intense, se mêle aux jaunes et aux ocres : l’outremer se vend en même temps que les épices.

Devant un bar où, au plafond, de nombreux ventilateurs tournent sans discontinuer, de jeunes hommes jouent aux dominos, sous l’œil indifférent de quelques vieillards qui fument le narguilé.

Le fleuve en crue étend paresseusement ses rives comme pour enserrer la ville de son étreinte avant de se perdre au détour d’un méandre. Sur les berges dallées ont été pratiqués de petits escaliers de pierre qui permettent d’atteindre l’eau : un pêcheur y attend patiemment son dîner, à moins que deux enfants ne tentent de plonger dans l’eau transparente.

En se penchant au-dessus de la barrière, on distingue nettement les nombreux poissons qui orbitent autour des barques et des felouques. La ville s’arrête de ce côté-ci du fleuve, comme si la rive orientale demeurait toujours, en dépit des siècles, cet empire des morts réservé aux sépultures et au silence.

Une ville d’Égypte depuis le Nil (photo personnelle)

L’eau s’étend jusque dans les champs où paît une vache. Des dizaines d’ibis ont choisi de se percher sur le même arbre, semblables, vus de loin, à de gros fruits informes. La végétation dessine une ligne verte qui longe le fleuve, épaisse de seulement quelques centaines de mètres, mais elle est aussi intense qu’étroite, et en cette saison de crue elle luit d’un vert éclatant.

Au loin se découpent les formes montagneuses du désert, absolument arides, sans qu’aucun intermédiaire ne s’insère entre la luxuriance des rives et l’or brillant des dunes. Enserrées dans le creux de ces montagnes, dans une vallée désormais célèbre mais tout aussi désertique, qui serpente entre les sommets, reposent les tombes des pharaons, palais souterrains qui abritent la dépouille éternelle des rois défunts.

Gabriel Grossi, « Egypte », février 2011.

Le désert égyptien depuis le Nil (photo personnelle)

Textes et photos : Gabriel Grossi.

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