En cet été de canicule, j’ai eu envie de partager avec vous ce poème paru dans Le Soleil en août 1911. Cette année-là, l’épisode caniculaire a également été particulièrement intense, provoquant 40 000 morts. Le site Retronews, émanation de la Bibliothèque Nationale de France, a exhumé ce poème en même temps que d’autres articles de presse parus il y a 107 ans.
Voici, donc, le texte du poème, particulièrement savoureux :
Poème « La Canicule » paru dans « Le Soleil » en août 1911. Capture d’écran du site « Retronews ».
La canicule
Les Parisiens sont sur les dents !
On peste, on sue, on gesticule…
Qu’ils soient dehors, qu’ils soient dedans,
Tous redoutent tes accidents,
— Ô canicule !
Et contre ce fléau banal,
Dont n’eût pu triompher Hercule,
Je ne sais, pour tout animal,
Qu’un seul remède original,
— Ô canicule !
C’est de fuir… d’aller n’importe où,
Mais qu’il avance ou qu’il recule,
L’homme que la chaleur rend fou,
Cherche en vain le tout petit trou,
— Ô canicule !
Trou de mer — ombres des forêts —
Montagne, bosquet minuscule,
Où sans rien craindre de tes traits,
Il goûterait un peu de frais,
— Ô canicule !
Si vous connaissez à Paris,
Une oasis, un édicule,
Où moi, pauvre, qui vous écris
Je puisse braver à bas prix
— La canicule,
Prévenez-moi ! Quant à présent,
Si je vous semble ridicule —
Beaucoup plus même — en composant
Cette pochade… Accusez-en
— La canicule.
Saint-Sylvestre
Une « pochade » héroï-comique
Ce poème traite d’un sujet trivial, à savoir les fortes chaleurs de l’été 1911, en recourant, à des fins humoristiques, à un style élevé : poème versifié, recours à la célébration en « Ô », comparaison à Hercule, rimes riches. Le comique tient ainsi dans le traitement grandiloquent de la canicule. Le poème relève donc d’un registre héroï-comique : c’est l’inverse du registre burlesque consistant, lui, à traiter bassement un sujet noble.
L’ensemble est désigné par le poète lui-même comme une « pochade ». Selon le Trésor de la langue française informatisé, ce terme désigne, en dessin, une « esquisse montrant des qualités de verve mais aussi des imperfections dues à la rapidité de l’exécution« . Le Dictionnaire historique de la langue française précise que ce terme, apparu pour la première fois en 1828 en littérature, s’est ensuite employé par analogie en littérature dès 1830. Le mot vient du verbe « pocher », dont l’un des sens figurés est « esquisser rapidement ». Le Grand dictionnaire universel du XIXe siècle de Pierre Larousse relève également les sens de « peinture tracée en quelques coups de pinceau » et de « œuvre rapidement écrite ».
Par ce terme, le poète montre le peu de crédit qu’il attribue à un poème essentiellement destiné à amuser le lecteur. Il sait bien qu’il ne s’agit pas là de grande littérature. Cependant, cela n’empêche pas le poème d’être, malgré tout, assez construit.
Les ressorts du comique
Le poème est composé de quintils (des strophes de cinq vers) constituant en réalité un quatrain d’octosyllabes systématiquement suivis du cinquième vers « Ô canicule » de quatre syllabes, donc de moitié plus court que les autres vers. Cette structure instaure un comique de répétition, dans la mesure où le ton de la célébration « Ô canicule ! » résonne ici de manière cocasse.
Le premier vers rime avec les troisième et quatrième, tandis que le second rime avec le cinquième. Et ceci, tout au long du poème. C’était ainsi l’occasion de multiplier les rimes en « cule », à la sonorité amusante. L’auteur prend visiblement plaisir à faire rimer « Hercule » avec « canicule », disqualifiant ainsi le grand héros mythologique associé à la thématique triviale du poème.
Le ton grandiloquent laisse attendre un semblant d’épopée. Or, il est particulièrement savoureux que la lutte contre la chaleur se réduise à… « fuir » ! C’est l’opposé de l’attitude courageuse des héros épiques. C’est donc une parodie d’épopée.
Et le poème se termine par un appel au lecteur, lui aussi fort savoureux. Puisqu’il n’est pas de lutte possible ailleurs que dans la fuite, le poète demande au lecteur s’il ne connaîtrait pas un lieu un peu plus frais. Le poème prend ainsi des allures de petite annonce.
Bref, j’espère que ce petit poème vous aura fait sourire. Merci à l’équipe de Retronews, émanation de la Bibliothèque Nationale de France, de l’avoir exhumé. Je vous recommande d’ailleurs chaleureusement ce site, qui est une mine passionnante d’informations historiques, puisqu’il permet de lire la presse des temps passés, du XVIIe au XXe siècle.
Pour en savoir plus
Qui est l’auteur ? L’encyclopédie Wikipédia ne recense aucune personne du nom de « Saint-Sylvestre ». Tous les articles renvoient en effet soit au saint fêté le 31 décembre, soit à des localités portant le nom de Saint-Sylvestre. Je n’ai donc pas trouvé d’informations sur l’auteur, et il est du reste fort possible que ce nom soit un pseudonyme.
Où ce poème a-t-il été publié ? Ce poème a été publié dans le journal Le Soleil, à la date du 9 août 1911, en première page. On peut lire ce journal sur le site Retronews. On peut également lire sur ce même site une chronique intéressante passant en revue différents articles parus en 1911 sur le sujet de la canicule.
Pourquoi peut-on dire que la canicule, c’est une histoire de petit chien ? C’est ce que vous découvrirez en lisant l’un de mes articles, consacré au mot « canicule ».
Image d’en-tête : un thermomètre (Geralt, Pixabay)
« Qui n’aime, aux jours de la canicule dans les bois, lorsque les geais criards se disputent la ramée et l’ombre, un lit de mousse et la feuille à l’envers du chêne ? » Auteur inconnu !
« Qui n’aime, aux jours de la canicule dans les bois, lorsque les geais criards se disputent la ramée et l’ombre, un lit de mousse et la feuille à l’envers du chêne ? » Auteur inconnu !
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Merci pour cette belle citation !
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Poème savoureux et… d’actualité.
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A reblogué ceci sur Alessandria today.
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