Grammaire scolaire, grammaire universitaire : quelles différences ?

Dans l’emploi du temps des étudiants en lettres, plusieurs heures hebdomadaires sont consacrées à la grammaire. On pourrait pourtant penser que, après le primaire et le secondaire, soit douze années du CP à la Terminale, les élèves maîtrisent suffisamment la langue française. Mais en réalité, si la grammaire scolaire et la grammaire universitaire ont beaucoup en commun, elles n’en ont pas moins des différences, de degré de difficulté, bien entendu, mais aussi, et surtout, de finalité.

Une finalité différente

L’objectif premier des élèves est de parvenir à lire, à écrire, à comprendre des textes en français, très simples d’abord puis de plus en plus subtils. La grammaire n’est donc pas tant étudiée pour elle-même que pour ce qu’elle permet d’écrire des phrases et des textes linguistiquement corrects.

S’il est nécessaire, à l’école primaire, de savoir identifier un verbe et un sujet, c’est avant tout que cette compétence est nécessaire pour produire des phrases où le verbe est accordé avec son sujet. Les élèves doivent donc apprendre, par l’observation de textes, la manipulation d’énoncés, la répétition d’exercices, les bases de l’orthographe, de la syntaxe, de la conjugaison, tout en cherchant à enrichir leur vocabulaire.

Autrement dit, l’étude de la langue à l’école vise avant tout un objectif pratique : savoir lire, savoir écrire, comprendre des textes de plus en plus subtils et devenir capable d’en produire soi-même.

On notera l’absence d’épreuve de grammaire au baccalauréat, où l’épreuve anticipée de Français est essentiellement une épreuve de littérature. Bien entendu, la maîtrise de la langue des élèves est évaluée à travers les compétences analytiques et rédactionnelles des élèves, mais il n’y a pas d’épreuve strictement grammaticale. [édit : cela a changé depuis]

Arrivés sur les bancs de l’Université, les étudiants en lettres doivent donc se réhabituer à analyser des phrases, des mots, des groupes de mots, leur nature, leur fonction dans la phrase. Pourquoi donc ? À l’Université, l’étude de la langue n’est plus seulement un outil pour bien écrire, elle devient une finalité en soi. Les grammairiens sont des scientifiques qui font de la langue leur objet d’étude. La langue est étudiée pour elle-même, ce qui implique d’aller plus loin que la seule grammaire scolaire.

L’étudiant en lettres pourra ainsi s’intéresser aux fonctions du mot « que » dans telle page de Chrétien de Troyes, ou encore à la position des adjectifs chez Racine, à l’emploi des subordonnées chez Proust, aux nuances aspectuelles des formes verbales chez Beckett, ou à l’usage du subjonctif chez Montaigne…

Selon ses spécialités et celles de ses professeurs, il aura peut-être aussi à comparer le fonctionnement de notre langue avec celui d’autres idiomes, à décortiquer les spécificités de certains parlers argotiques, régionaux, créoles, à se passionner pour la phonétique historique, et que sais-je encore.

Morphologie, phonétique, syntaxe, sémantique, étymologie, pragmatique, stylistique : la grammaire universitaire recouvre un ensemble de plusieurs disciplines qui sont à elles seules de vastes domaines de recherche.

La règle et les cas problématiques

Il est normal que dans l’enseignement primaire et secondaire, l’on insiste davantage sur les régularités que sur les exceptions. Dans la mesure où la plupart des morphèmes grammaticaux sont des marques écrites mais inaudibles à l’oral, il faut plusieurs années aux élèves pour acquérir les automatismes qui leur permettront d’accorder correctement noms et verbes sans plus avoir à y réfléchir.

En revanche, la grammaire universitaire s’intéressera davantage aux cas problématiques, aux exceptions, aux énoncés réels qui ne correspondent pas toujours à ce que l’on voudrait que la langue soit. Car la langue française, la vraie langue française, ce n’est pas celle qui est dans les manuels. La langue française n’est pas un ensemble de règles mais une réalité vivante qui préexiste à toutes les grammaires. Les chercheurs en grammaire et en linguistique d’aujourd’hui s’intéressent donc à des textes et des phrases réels, qui ont été effectivement prononcés ou écrits, et tentent de les analyser le plus finement possible.

Or, certaines occurrences ne rentrent pas facilement dans les catégories proprettes des manuels. Analyser ces situations problématiques conduit parfois à repenser ce que l’on croyait savoir, un peu comme la découverte d’une nouvelle espèce de plante ou d’animal invite parfois les biologistes à revoir la classification des êtres vivants telle qu’elle était jusqu’alors admise.

Il faut parfois avoir la modestie de reconnaître qu’il n’y a pas une et une seule façon d’analyser les choses, et que certaines occurrences résistent à une explication univoque et définitive.

Des différences de terminologie

À ces différences de finalité, s’ajoutent des différences de terminologie. Il faut savoir, pour commencer, qu’il existe plusieurs écoles de grammairiens, qui possèdent leur propre façon d’envisager les choses, et donc leurs propres concepts : les successeurs de Gustave Guillaume parleront volontiers de tenseurs ; vous rencontrerez les termes de disconrdanciel et de forclusif chez Damourette et Pichon ; la négation est parfois nucléaire (Tesnière)…

Plus généralement, il importe bien entendu que l’étudiant en lettres adopte une terminologie plus précise et plus rigoureuse que ce qui peut suffire à l’élève du primaire et du secondaire :

  • Les professeurs d’Université parleront plus volontiers de syntagme nominal là où les professeurs des écoles se contentent du traditionnel groupe nominal.
  • Parce que le présent ne sert pas seulement à dire ce qui se passe au présent, l’Université préférera parler de tiroirs verbaux plutôt que de temps.
  • Le conditionnel n’y est pas considéré comme un mode mais comme un temps de l’indicatif (j’en explique les raisons ici).
  • Parce que « nous » n’est pas toujours un « je+je » mais peut aussi être un « je+il », les universitaires ne parlent pas de première personne du pluriel mais de « quatrième personne », écrite P4. De même pour les cinquième et sixième personnes que sont « vous » et « ils ».
  • Ce que l’on appelle à l’école la « voix » (active ou passive) devient la diathèse sur les bancs de la faculté.
  • C’est également à l’Université que j’ai découvert la notion de point d’incidence (le point de la phrase où « s’accroche » le ou les mots considérés : ainsi l’adjectif qualificatif épithète s’accroche au nom, et le COD s’accroche au verbe).
  • La notion de prédicat, longtemps réservée aux amphis, a fait son apparition dans les nouveaux programmes de l’école primaire.

Ces quelques différences pourront surprendre, au début, un habitué de la grammaire traditionnelle telle qu’elle est enseignée dans les écoles. Il n’en reste pas moins qu’une personne à l’aise avec la grammaire scolaire ne rencontrera guère de difficultés dans la découverte de la grammaire universitaire. Pour ma part, je sais que je dois beaucoup à mes professeurs de primaire et de collège, dont les enseignements très rigoureux m’ont été utiles jusqu’à la préparation de l’agrégation et du doctorat.

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