Mon opinion sur le livre de Céline Alvarez

Il est un livre qui a fait beaucoup parler de lui dans les salles des profs : il s’agit de Les lois naturelles de l’enfant de Céline Alvarez, paru aux éditions des Arènes en 2016. Dans cet ouvrage, l’auteur relate une expérience menée dans une école maternelle de Gennevilliers entre 2011 et 2014. Pendant trois années scolaires, Céline Alvarez a eu carte blanche pour expérimenter une autre pédagogie. Je suis tombé par hasard sur cet ouvrage à la bibliothèque, et je l’ai emprunté pour me faire ma propre opinion. Compte-rendu.

Laisser les enfants apprendre

Un enfant fait ses premières explorations (Pixabay)

L’idée centrale du livre de Céline Alvarez est que les enfants n’apprennent jamais aussi bien que lorsqu’ils sont libres de le faire par eux-mêmes, placés dans un environnement conçu de telle manière qu’ils sont naturellement amenés à apprendre à travers leurs expériences personnelles. L’ouvrage revendique ainsi pleinement l’héritage de Maria Montessori et de ses prédécesseurs.

Céline Alvarez prône une pédagogie moins dirigée et moins frontale que ce qui peut se faire traditionnellement dans les écoles. Les enfants ont à disposition un ensemble de jeux pédagogiques rangés sur des étagères, qu’ils sont libres d’aller chercher pour y jouer seuls ou à plusieurs. Le rôle de l’enseignant est, d’une part, d’assurer que ces activités libres se déroulent dans un climat serein propice aux apprentissages, et, d’autre part, de montrer à de petits groupes comment l’on joue à de nouveaux jeux, de manière à faire acquérir de nouveaux savoirs, de nouvelles compétences.

Un enfant qui dessine (Pixabay)

Céline Alvarez a des mots très durs envers les effets délétères d’une pédagogie verticale, les environnements tristes de certains établissements scolaires, les conséquences néfastes de certains comportements comme le coucher tardif ou la consommation excessive d’écrans. Inversement, elle s’extasie devant les accomplissements merveilleux que réalisent naturellement les enfants lorsqu’ils sont placés dans de bonnes conditions. Aussi, parfois, pourra-t-on trouver ce contraste un peu agaçant, comme si l’école publique n’avait rien compris et que la solution proposée tenait du miracle.

Il faut, je crois, dépasser cette impression qui se dissipe après l’introduction. L’ouvrage de Céline Alvarez a le mérite de proposer des pistes éducatives intéressantes, qu’il appartient ensuite à chaque enseignant de retenir ou non, et de se les approprier avec les modifications qu’il souhaite.

Quelques principes intéressants

Parmi les principes adoptés dans la classe maternelle de Genevilliers, j’ai retenu les suivants qui me semblent intéressants :

Le respect des « lois naturelles de l’enfant »

Pour Céline Alvarez, « l’enfant naît câblé pour apprendre et pour aimer ». Elle s’appuie fortement sur les découvertes scientifiques pour montrer que les enfants apprennent naturellement, sans qu’il soit nécessaire de le leur imposer, du moment que cela répond à un besoin pour eux. Ainsi, personne ne s’étonne de ce que les enfants apprennent tout seuls à parler leur langue maternelle, simplement par imitation des adultes. Les premières années de vie sont un moment d’emmagasinement incroyable de savoirs, où les neurones créent un nombre impressionnant de connexions, avant de ne conserver que celles qui seront effectivement utilisées.

Un jeu de construction (Pixabay)

Céline Alvarez insiste en particulier sur les premiers mois de vie du nourrisson, qui dès le plus jeune âge apprend à reconnaître les sons de sa langue maternelle, par exemple. L’immersion linguistique a toujours été un meilleur professeur que l’apprentissage dans des livres : certes, mais voilà qui ne dépend pas vraiment des moyens de l’école publique. S’il y a donc autant d’échec scolaire, si l’on en croit Céline Alvarez, c’est parce que l’on veut souvent faire ingurgiter de force les savoirs, au lieu de laisser les élèves apprendre de leurs contacts avec le monde.

Respecter les lois naturelles de l’enfant, c’est aussi accepter un cadre plus souple quant à l’horaire et la durée des récréations, qui ont lieu au moment où les enfants en expriment le besoin et non quand la cloche sonne. C’est encore offrir un libre accès au dortoir, destiné à tous les enfants qui ont besoin de faire une sieste, au lieu d’être imposé aux élèves de petite section (alors que tous n’en ont pas besoin) et interdit aux autres (alors que certains en ont besoin).

Ce cadre plus souple concerne évidemment au premier chef les activités elles-mêmes : les enfants sont libres, s’ils le désirent, de continuer une activité tant qu’ils ne l’auront pas réussie, et d’en changer lorsqu’ils le désirent. Un enfant particulièrement absorbé dans une tâche n’en sera pas extrait de force sous prétexte que c’est l’heure de faire autre chose : visiblement, il est déjà en train d’apprendre. Cela me semble à la fois très important et très difficile à mettre en œuvre dans une classe ordinaire.

L’importance de l’environnement

La notion d’environnement est également très importante dans l’ouvrage. L’environnement est véritablement, pour Céline Alvarez, un professeur. C’est pas ses contacts avec l’environnement que l’enfant va construire ses premiers savoirs.

Il en découle qu’un soin particulier doit être accordé à l’environnement de l’enfant : il doit être riche, mais non surchargé. Idéalement, il faudrait de grandes classes, avec de l’espace pour que chaque élève puisse mener à bien ses explorations sans être gêné par les autres, ni lui-même gêner les autres. Dans l’une des classes où j’enseignais l’an dernier, il y avait moins de places assises que d’élèves : c’était une façon de faire de la place. Céline Alvarez raconte comment elle a beaucoup réfléchi à l’organisation spatiale de sa classe, à la disposition des étagères et à la constitution de « coins » consacrés à un domaine d’apprentissage.

Céline Alvarez insiste aussi sur le contact avec la nature, tout en étant bien consciente que cela n’est pas toujours réalisable dans le cadre d’une école publique. Dans l’une des écoles où j’ai enseigné, il y avait non une cour bétonnée mais un grand pré planté de marronniers. Je suis moi aussi convaincu que le grand air fait du bien aux élèves.

L’autonomie des élèves
Des interactions individuelles plutôt que collectives avec l’enseignant (image Pixabay)

La principale spécificité de la pédagogie de Céline Alvarez repose sur l’autonomie des élèves, qui choisissent eux-mêmes les activités qu’ils veulent faire. Contrairement à ce que l’on pourrait croire au premier abord, cela n’implique aucun flou dans la progression pédagogique de l’enseignant : la maîtresse note soigneusement quelles sont les activités réalisées par chacun, quelles sont les compétences maîtrisées et moins bien maîtrisées, de manière à proposer ensuite à chacun un étayage adapté.

En somme, Céline Alvarez ne recourt pas à ce que l’on appelle l’atelier dirigé, où six à huit élèves sont regroupés à une table pour pratiquer l’activité imposée par l’enseignant, tandis que les autres s’exercent seuls à une activité également imposée. A la place, les élèves choisissent librement des activités qu’ils peuvent pratiquer seuls ou à plusieurs, parmi un ensemble d’activités dont on leur a déjà auparavant montré les règles. C’est face à un groupe plus petit d’enfants volontaires, voire de façon individuelle, que l’enseignante expose comment l’on pratique une nouvelle activité.

Ainsi placés en autonomie, les enfants se donnent parfois des objectifs qui vont bien au-delà de ce que Céline Alvarez avait prévu. Je ne me souviens plus en détail des exemples donnés dans le livre, mais l’idée est d’éviter d’entraver ces élans spontanés sous prétexte que cela serait « trop difficile ». Céline Alvarez défend l’idée que les capacités des jeunes enfants sont bien supérieures à ce que l’on imagine au premier abord.

Dans les classes de maternelle où j’ai enseigné, il y avait des réels temps d’autonomie. Déjà, le temps d’accueil du matin permet aux élèves de choisir eux-mêmes leurs activités, avec le même principe de bacs laissés à disposition sur des étagères. Ensuite, au lieu de proposer quatre ateliers comme cela se fait souvent (un dirigé par l’enseignant, un dirigé par l’ATSEM, et deux ateliers autonomes), il y avait toujours un quart de la classe qui pouvait vaquer à ses propres explorations.

On peut se demander en revanche jusqu’à quel point il est possible d’accéder à la connaissance simplement par l’exploration libre du monde. Céline Alvarez parle beaucoup des premières années de vie, y compris avant l’entrée en maternelle, où l’on peut en effet découvrir des tas de choses simplement en se confrontant au monde réel et aux activités placées dans l’environnement de l’enfant par l’adulte. Mais je me souviens de séances de sciences au lycée où il fallait « deviner » par l’observation de documents ou par la mise en place d’expériences comment les choses se passaient : alors que les algues sont censées produire de l’oxygène lorsqu’on les éclaire, la courbe sur mon écran demeurait inlassablement descendante, si bien que je ne sais pas ce que j’aurais pu en déduire si mon professeur ne m’avait pas finalement imposé le savoir correct. L’élève est-il vraiment toujours capable de redécouvrir par lui-même ce que les scientifiques ont mis des siècles à mettre en évidence ?

Le mélange des classes d’âge
Un environnement riche et agréable est propice aux apprentissages (Pixabay)

La classe de Céline Alvarez a accueilli d’abord un, puis deux, puis trois niveaux de maternelle. Selon l’auteur, ce mélange des âges est bénéfique en ce qu’il reproduit ce qui existe dans le monde réel. Les enfants plus âgés sont comme des grands frères et des grandes sœurs pour les enfants plus jeunes, guidés dans leurs apprentissages par leurs aînés.

Le hasard a fait que j’ai moi-même beaucoup enseigné dans des classes à double niveau. Je trouve cette disposition tout à fait pertinente en maternelle. En particulier, j’ai pu constater combien la présence d’enfants plus âgés aidait les élèves de petite section à s’habituer au monde de l’école. Il y avait assez peu de pleurs, dès le début de l’année, car les petits imitent les plus grands, déjà habitués aux activités proposées par l’école.

Je suis en revanche beaucoup plus réservé sur la pertinence des cours multiples dans les classes de niveau élémentaire. Je sais bien que certains enseignants s’y sont si bien adaptés qu’ils ne voudraient pour rien au monde revenir à un niveau unique. Cependant, les bénéfices du mélange des âges sont moindres, puisqu’il est souvent nécessaire de proposer des activités radicalement différentes à l’un et l’autre niveau, comme s’ils se trouvaient dans des classes différentes, sauf qu’il n’y a pas de mur et qu’un seul prof.

L’empathie
Des enfants qui s’amusent dans la bonne humeur (Pixabay)

Céline Alvarez insiste beaucoup sur la nécessité d’un environnement serein et de rapports bienveillants entre les enfants comme avec les adultes. Toute la dernière partie de son ouvrage est consacrée à la « reliance » et à l’empathie. Céline Alvarez s’appuie sur les neurosciences et sur la chimie du cerveau pour rappeler que l’on n’apprend bien que lorsque l’on se sent bien.

La liberté laissée aux élèves est l’occasion de faire vivre les enfants les uns avec les autres, et non uniquement les uns à côté des autres. Les conflits font partie de la vie, et les enfants apprennent progressivement à les gérer de façon non-violente.

J’ai été intéressé par la distinction faite entre « reliance » et « dépendance ». Pour Céline Alvarez, trop souvent les « C’est bien » et les « Bravo » finissent par entraver l’enfant en ce qu’il devient incapable de juger son propre travail en l’absence du jugement de l’adulte. Il faudrait, selon elle, reformuler de façon plus neutre, plus descriptive, sans notion de bien ou de mal : « Je vois que tu as construit une grande tour en bois ».

A l’attention des parents

Les écrans hypnotisent les jeunes enfants et peuvent créer des troubles (Pixabay)

Certaines recommandations de Céline Alvarez, pleines de bon sens, s’adressent moins aux enseignants eux-mêmes qu’aux parents :

  • pas de coucher trop tardif,
  • limiter autant que possible la consommation d’écrans chez les jeunes enfants (télévision, jeux vidéos, etc.),
  • passer du temps avec ses enfants est plus efficace que n’importe quel DVD éducatif, fût-il labellisé « Montessori »,
  • rêver et ne rien faire, c’est important aussi.

Bilan

J’ai trouvé la lecture de ce livre stimulante, même si dans le même temps je ne suis pas certain que le programme proposé soit applicable tel quel dans une classe ordinaire. Il aurait été intéressant que l’expérience portât également sur des élèves plus âgés : élémentaire, collège, lycée, université. Pour ma part, plutôt que de révolutionner mes pratiques du jour au lendemain avec le risque que cela soit mal maîtrisé, je compte y aller progressivement avec mes élèves d’élémentaire, en essayant quelques modestes choses petit à petit. Passer davantage de temps à observer les élèves, au lieu d’exiger une attention constamment centrée sur mes paroles. Prévoir quelques plages horaires de plan de travail, où les élèves font les exercices dans l’ordre qu’ils veulent (le problème étant qu’ils sont plus rapides à faire les exercices que moi à les concevoir et à les corriger). Placer des séances plus libres après les séances plus dirigées. Et ainsi de suite…

Et vous, qu’en pensez-vous ? Parents, étudiants, enseignants, n’hésitez pas à partager votre opinion dans l’espace des commentaires !

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7 commentaires sur « Mon opinion sur le livre de Céline Alvarez »

  1. J’ai lu également le livre de Céline Alvarez. Et j’ai participé à 3 jours de conférences qu’elle a animé l’année dernière. J’aimerai essayer d’aller vers plus d autonomie et d individualisation du parcours de chacun.Mais je me heurte à un problème : que deviennent les leçons ? En élémentaire, elles sont conséquentes , s’il faut les faire 25 fois au moment où chaque élève est prêt, ça ne permet plus d aider les élèves qui en ont besoin.

    Aimé par 1 personne

    1. Je pense que des temps collectifs sont nécessaires, ne serait-ce que parce qu’une classe est aussi un groupe et pas seulement une juxtaposition d’individus. Autonomie, oui, mais pas tout le temps, et il y a aussi des moments où l’on apprend tous ensemble. On peut aussi regrouper les enfants qui ont des besoins similaires.

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