Connaissez-vous Constantin Cavafy ?

Il était Grec mais vivait en Égypte, et c’est pourquoi ces deux pays se sont récemment unis pour organiser un colloque sur son œuvre, qui a eu lieu du 15 au 17 octobre 2017 au Caire et à Alexandrie. Si je vous en parle, c’est d’abord pour vous présenter Constantin Cavafy, et c’est ensuite pour signaler l’existence de ce colloque qui a réuni les deux rives de la Méditerranée pour lui rendre hommage.

Qui était Cavafy ?

Né et mort à Alexandrie, Constantin Cavafy (1863-1933) fut l’un des plus grands poètes grecs du XXe siècle. Selon Wikipédia, après une enfance passée en partie à Liverpool, en Angleterre, Constantin Cavafy a passé la majeure partie de sa vie en Égypte. Il n’a publié aucun recueil de son vivant, ses poèmes étant soit parus dans des revues, soient imprimés par l’auteur lui-même et circulaient entre ses amis. Ce n’est qu’après sa mort que son œuvre a été reconnue, notamment par Marguerite Yourcenar qui a traduit ses poèmes.

Wikipédia précise également que l’originalité de sa poésie tient en partie à la langue même de Cavafy, qui de par son appartenance à la diaspora grecque, usait d’une langue plus archaïque et musicale que le grec moderne standard.

Un poème de Cavafy

Je remercie le professeur Patrick Quillier, qui enseigne actuellement l’œuvre de Cavafy à l’Université de Nice, de m’avoir transmis plusieurs poèmes que je puisse citer, dont plusieurs en langue grecque et un en langue française, intitulé « Dans l’escalier ». Le voici, dans la traduction de Gilles Ortlieb et Pierre Leyris :

« Comme je descendais l’escalier mal famé
tu entrais par la porte et, pour une seconde,
j’ai vu ton visage inconnu et tu as vu le mien.
Là-dessus, je me suis caché, fuyant ton regard, et toi
tu es passé rapidement, en dissimulant ton visage,
puis tu t’es faufilé dans la maison mal famée
où tu n’as pas dû trouver plus de plaisir que moi-même.

Et pourtant l’amour que tu voulais, j’aurais pu te le donner ;
l’amour que je voulais
— tes yeux las qui savaient l’ont dit — tu aurais pu me le donner.

Nos corps se sont sentis, ils se cherchaient.
Notre sang et notre peau se sont compris.

Mais nous nous sommes cachés l’un de l’autre, troublés. »

Ce poème de treize vers — presque un sonnet… — fait immédiatement penser au fameux « Ô toi que j’eusse aimée, ô toi qui le savais » de Baudelaire. Il s’agit, là aussi, d’une rencontre fulgurante, qui produit un effet tout aussi intense que bref, mais qui n’a de suites que dans l’imaginaire. On retrouve le même croisement des pronoms « je » et « tu », mais, contrairement au sonnet de Baudelaire, il y a ici un « nous » par lequel le poète donne de la réalité à cet accord mutuel qui s’est passé de mots. C’est en effet par le langage silencieux du « corps », du « sang » et de la « peau » que les deux êtres ont communiqué. On notera le nombre important de parallélismes qui soulignent la réciprocité des gestes et des attitudes tout au long du poème : « j’ai vu » / « tu as vu » ; « je me suis caché » / « tu es passé » ; « fuyant ton regard » / « en dissimulant ton visage », etc. C’est ainsi que l’ensemble du poème dit à la fois le caractère unique de la rencontre, et, simultanément, son échec.

Les accords au masculin montrent que ce poème était adressé à un homme. De fait, ce poème fait partie des « poèmes homosexuels de Cavafis », comme le précise Patrick Quillier, qui ajoute qu’une autre partie de ses poèmes est « marquée au sceau du genre de la petite épopée, ou épyllion ». Le trouble ressenti par les deux protagonistes correspond cependant à un immédiat « coup de foudre » dans lequel tout lecteur peut se reconnaître.

Un colloque en Égypte

La Grèce et l’Égypte se sont associées pour organiser ce colloque qui s’est tenu récemment à Alexandrie, loin des projecteurs médiatiques. Selon Patrick Quillier, « Cavafeia 2017 est une initiative gréco-égyptienne qui vise à mettre en évidence l’actualité et la dimension œcuménique de la poésie du grand poète de la diaspora grecque. » Cet événement a été organisé par « la Bibliothèque d’Alexandrie, les Ministères de la Culture de Grèce et d’Égypte, l’Opéra du Caire et le Centre culturel grec du Caire« . On peut saluer cette belle initiative qui a réuni les deux rives de la Méditerranée dans une même passion pour le savoir, la culture, la littérature et la poésie.


(Image d’en-tête réalisée à partir du portrait de Cavafy en 1900, texture de fond : poème manuscrit de Cavafy, images provenant de Wikipédia.)

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10 commentaires sur « Connaissez-vous Constantin Cavafy ? »

  1. « Quand tu partiras pour Ithaque,
    souhaite que le chemin soit long,
    riche en péripéties et en expériences.

    Ne crains ni les Lestrygons, ni les Cyclopes,
    ni la colère de Neptune.
    Tu ne verras rien de pareil sur ta route si tes pensées restent hautes,
    si ton corps et ton âme ne se laissent effleurer
    que par des émotions sans bassesse. »

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  2. Je ne connais que par l’intermédiaire de Jacques Lacarrière qui retranscrit une dizaine de ses poèmes et parle très bien de lui dans son Dictionnaire amoureux de la Grèce: « Cet homme solitaire,habité par tous les fantômes du passé grec comme par toutes les facettes du présent, ce poète, à la fois archaïsant et totalement moderne, a laissé une oeuvre rare,minutieuse et parcimonieuse…. » ; « Cavafy est bien le dernier descendant de cet immense continent culturel, le dernier chantre de la mémoire vacillante de cet hellénisme oriental. »

    Aimé par 1 personne

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