L’Éducation Nationale préconise un exercice d’invention écrite que je trouve assez amusant. Le rapport ministériel « La poésie à l’école » (p. 9) désigne cet exercice sous le terme de « traduction » entre guillemets. Bien entendu, il ne s’agit pas de demander à des enfants d’âge primaire de posséder des talents de traducteur. En somme, on joue au traducteur : face à un poème rédigé dans une langue inconnue des élèves, mais dont ils possèdent la traduction de certains mots, ils doivent inventer une « traduction ». Avant de mettre en place cette séance, j’ai voulu la tester moi-même…
Présentation de l’exercice
Voici comment le Ministère de l’Éducation Nationale présente l’exercice :
Intérêt d’un tel jeu d’écriture
On ne le répètera jamais assez, on n’écrit pas à partir de rien. Si un enseignant se contentait d’imposer un sujet tel que « écrivez un poème sur l’automne », il ne devrait pas s’étonner de lui voir rendues beaucoup de copies blanches. Le texte en langue inconnue agit ainsi comme un support stimulant la créativité.
Plusieurs niveaux de difficultés peuvent être sélectionnés :
- Les élèves les plus avancés pourront faire attention à ce que les mots qu’ils sélectionnent apparaissent dans le même ordre que le texte de départ. Il s’agit alors véritablement de faire semblant de traduire le texte, ce qui suppose d’avoir vraiment lu le texte en langue inconnue.
- Pour des élèves moins avancés, on pourra simplement se contenter d’exiger qu’apparaissent certains mots de la liste, sans lien précis avec le texte de départ. Il y a donc moins de contraintes et l’exercice est plus libre.
Bien évidemment, cette séance n’aurait guère d’intérêt si les élèves se paniquaient face à la tâche impossible de traduire un poème rédigé dans une langue totalement inconnue. Il importe que les élèves comprennent que l’on n’attend pas d’eux une véritable traduction, mais que jouer au traducteur est un moyen comme un autre d’écrire des poèmes. Aussi convient-il de ne mettre en place cette séance qu’après d’autres situations de production d’écrits poétiques : écriture de haïkus, de calligrammmes, de poèmes contemporains, etc.
Commençons par tester sur nous-mêmes
Avant de proposer cette séance, que je pressens difficile à mettre en place, à mes élèves, je voudrais la tester sur moi-même. Il se trouve que, bien que j’aie des amis lusophones, je ne parle pas un mot de portugais. Cette langue très mélodique m’est agréable à l’oreille, mais je n’en comprends pas un traître mot. Du moins à l’oral. A l’écrit, les choses sont différentes: je peux prendre mon temps pour observer des ressemblances avec le français, l’italien ou le latin, et, même si le texte dans son intégralité me demeure obscur, j’arrive souvent, malgré tout, à me faire une idée de sa teneur.
Bref, voici un poème, trouvé sur Internet, du poète Candido Guerreiro. J’ignore tout de ce poète, mais il doit être assez connu, car ses poèmes ont été peints sur des murs :
« Porque nasci ao pé de quatro montes,
Por onde as águas passam a cantar
As canções dos moinhos e das pontes
Ensinarem-me as águas a falar…
Eu sei a vossa língua, água das fontes…
Podeis falar comigo, águas do mar…
E ouço à tarde, os longínquos horizontes,
Chorar uma saudade singular…
E porque entendo bem aquelas mágoas,
E compreendo os íntimos segredos
Da voz do mar ou do rochedo mudo,
Sinto-me irmão da luz, do ar, das águas,
Sinto-me irmão dos íngremes penedos,
Sinto que sou Deus, pois Deus é tudo… »
Ma tentative de « traduction »
Avant de vous donner à lire ma version fantaisiste de ce poème, je voudrais bien rappeler que je ne suis pas traducteur, que je ne parle pas portugais, et que je n’ai aucunement l’intention de porter atteinte à la mémoire ni à la réputation du poète. Il s’agit bien d’un exercice d’invention, qui consiste donc à déformer le poème original pour en créer un nouveau. Je ne chercherai que quelques mots dans le dictionnaire, conformément au principe de l’exercice.
Je suis convaincu que les personnes qui savent le portugais seront tordues de rire à la lecture de tant de déformations, d’infidélités et de contresens, mais précisément, il ne s’agit pas ici de les éviter, mais au contraire de laisser aller son imagination.
Parce que je suis né au pied de quatre montagnes,
Là où la mer et les eaux commencent à chanter,
Chansons des moineaux et des ponts,
Enseignez-moi comment parlent les eaux.
Eaux des fontaines, je connais votre langue,
Eaux des vagues, je pourrais parler comme vous,
Et, tôt ou tard, les longs horizons,
Entonneront un chant singulier.
Et parce que je comprends bien ces douleurs,
Et que je comprends les secrets intimes,
De la voix de la mer ou du rocher nu,
Jusqu’à ce que je sois lavé par la lumière, l’argent et l’eau,
Jusqu’à ce que je sois lavé de mes peines immenses,
Je resterai sous et dans le regard de Dieu.
Comparer avec une vraie traduction
Il s’agit enfin de comparer la traduction fantaisiste ainsi produite avec une traduction véritable. J’ai trouvé celle-ci au même endroit où j’ai trouvé le poème en langue originale portugaise. La voici :
« Parce que je suis né entouré de quatre monts,
Par où les eaux coulent en chantant
Les chansons des moulins et des ponts,
Les eaux m’ont appris à parler…
Je connais votre langage, eau des sources…
Vous pouvez me parler, eaux de l’océan…
Et le soir j’entends, les lointains horizons,
Qui pleurent avec une singulière nostalgie…
Et parce que je comprends bien cette agonie,
Et que je comprends les secrets intimes
Des voix de la mer ou du rocher muet,
Je suis le frère de la lumière, de l’air et de l’eau,
Je suis le frère des abruptes rochers,
Je sens que je suis Dieu, car Dieu est le monde entier… »
Source : https://poesiesenportugais.blogspot.fr/2017/10/candido-guerreiro-porque-nasci-ao-pe-de.html
Conclusion
Même si, par endroits, je n’étais pas très loin du sens original, ma version fantaisiste est bien sûr très différente, et très inférieure, au poème de Candido Guerreiro. Je pense qu’un tel exercice est à la fois amusant et stimulant. Il aurait fallu tester avec des langages encore plus éloignés du français : le résultat aurait peut-être été encore plus drôle, car les différences auraient probablement été davantage marquées encore.
Il serait intéressant de proposer cet activité à des élèves. Le tout étant de les inciter à écrire, de leur faire produire des phrases correctes, et surtout de stimuler leur imagination. Un tel exercice pourrait aussi, mutatis mutandis, servir d’introduction à une étude plus sérieuse de la version latine : les élèves s’amuseraient à laisser aller leur imagination avant d’étudier une traduction « officielle ».
Si vous connaissez de beaux poèmes en langue étrangère, que ce soit en allemand, en hongrois, en grec, en russe, en serbo-croate, en arabe, en japonais ou en chinois, ce serait sympa de les mettre en commentaire. Et si d’autres veulent jouer à les « traduire », ils peuvent aussi proposer leur traduction fantaisiste !
J’adore ce principe ! Je propose un haïku japonais de Bashô dont voici la transcription en alphabet romain :
kono aki wa
nande toshiyoru
kumo ni tori ?
Qui tente de le « traduire » sachant que « tori » veut dire « oiseau » ?
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Pas de nuage
Mais la plume seulement
D’un unique oiseau
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Superbe ! La vraie traduction est la suivante :
Cet automne-ci
Pourquoi donc dois-je vieillir ?
Oiseau dans les nuages.
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Bon, l’original est quand même pas mal 😉
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