En ce jour d’automne, je vais vous parler d’un poème de Victor Hugo, une chanson d’automne qui parle d’hirondelles… Mais aussi des difficultés que j’ai rencontrées pour trouver la source exacte du poème.
Pourquoi ce poème ?
Ce poème m’a séduit par sa simplicité élégante : Victor Hugo n’est pas seulement ce poète-prophète, surplombant le monde telle une statue au-dessus des vagues de Guernesey, supportant fièrement son exil et éclairant l’avenir de son regard visionnaire. Car telle est bien l’image un peu caricaturale qu’on peut se faire de cet incontestable génie, si l’on ne parcourt que les textes les plus célèbres. Or, Victor Hugo était aussi un poète sensible, capable de simplicité, un grand-père attendri, j’allais dire un « papi poule ». Je n’ai découvert cet aspect plus léger de sa poésie qu’après mes études, en feuilletant les ouvrages du poète, notamment les versions numériques disponibles sur Gallica et Wikisource. J’irais même jusqu’à dire que, même si l’on ne fait traditionnellement débuter la modernité poétique qu’avec Baudelaire, il y a du très moderne chez Victor Hugo !
Un poème difficile à sourcer
Avant de vous donner à lire ce poème, je dois signaler qu’il ne m’a pas été facile de trouver sa référence exacte. Au départ, j’ai trouvé ce poème dans un petit classeur bleu où il était soigneusement collé, mais sans indication précise quant au recueil ou à la date d’édition. Il comportait le titre de « Chanson d’automne », il commençait par le vers « Les hirondelles sont parties », et il comportait trois quatrains. Seule information, donc, le nom de l’auteur.
Une rapide recherche sur Wikisource n’a d’abord rien donné. Pas de « Chanson d’automne », ni même d’hirondelles. J’élargis alors ma recherche, en naviguant sur des sites de fans de poésie ayant cité le poème, mais je trouve des informations contradictoires :
- Aucune indication sur le site de l’Académie de Rouen, mais le poème passe désormais à quatre strophes. Je me dis que j’ai bien fait de creuser : le poème que j’avais sous les yeux n’était peut-être qu’un extrait.
- Le site « Naute » indique, comme origine, le beau recueil L’Art d’être grand-père, dont je ne saurais trop, au passage, vous recommander la lecture. Quatre strophes sont citées. Il est précisé que le poème est posthume. Mais, dans Wikisource, ce recueil est bien reproduit, et je n’y retrouve pas trace de cette Chanson d’automne.
- Le site « Feuilles de choux » donne également ce poème comme appartenant à L’Art d’être grand-père. Le poème passe a quatre quatrains.
- Le site « Ipernity » publie le poème, en citant cinq quatrains, et en indiquant comme référence les « Alentours des Chansons des rues et des bois« . Pourtant, aucune trace du poème dans les Chansons des rues et des bois telles qu’elles ont été reproduites sur Wikisource.
- Mais je ne perds pas confiance : je suspecte que cette difficulté à trouver aisément la source tient au caractère posthume du poème, qui doit probablement être ajouté en appendice à la suite d’autres recueils. En somme, si le poème est si difficilement rattachable à un recueil, c’est sans doute parce que Victor Hugo lui-même ne l’a jamais rattaché à un recueil.
- Me disant cela, je fouille dans les œuvres complètes de Hugo sur Wikisource, en me focalisant sur les pages dont il n’existe pour l’instant qu’un fac-similé, mais pas le texte recopié. En effet, si le texte avait été saisi dans Wikisource, n’importe quel moteur de recherche aurait pu le retrouver. Et je tombe sur une section intitulée « Reliquat ». Je fais défiler les pages une à une, et hourra !
- Je finis par trouver le poème à la page 315 du septième tome des Poésies de Victor Hugo, dans l’édition dite de l’Imprimerie Nationale (Ollendorf). Le poème, simplement intitulé « Chanson » (et pas « Chanson d’automne ») possède cinq strophes, dont le texte des deux dernières présente des surcharges : l’éditeur publie un brouillon, sans choisir parmi les possibilités entre lesquelles Victor Hugo hésitait.
Voici, donc, ce qu’il en est en définitive : le poème qui m’intéressait était publié dans le « Reliquat des Chansons des nuits et des bois« , dans l’édition Paris, Ollendorf, 1933. Il s’agit du septième tome des Poésies de Victor Hugo, correspondant au trentième volume des Œuvres complètes. Le texte de ce Reliquat n’a pas encore été saisi par les bénévoles de Wikisource.
- Voir la table des matières de ce volume telle que reproduite par Wikisource.
- Voir la première page du Reliquat, à partir de laquelle vous pouvez naviguer en cliquant avec les flèches. Il s’agit de la page 303 de l’ouvrage, codée 317 par Wikisource.
- Voir, enfin, le texte du poème lui-même, à la page 315 (codée 329).
Citation du poème
Le poème dans son intégralité compte bien cinq quatrains, mais seuls les trois premiers présentent une forme définitive, tandis que pour les deux derniers, les textes en petits caractères reflètent les hésitations du poète. L’éditeur a maintenu ces versions alternatives car le manuscrit retrouvé n’était probablement qu’un brouillon : comment savoir ce que Victor Hugo aurait décidé s’il avait pu terminer son poème ?
Une chanson
Le poème présente une structure répétitive qui confirme son appartenance au genre de la chanson, déjà indiquée par le titre. En effet, dans chaque quatrain, Victor Hugo reprend les premier et troisième vers. Quant aux quatrièmes vers de chaque strophe, ils présentent la même structure grammaticale, et ne varient que sur l’axe paradigmatique.
Ces répétitions confèrent au poème un ton léger, qui sied au sujet du poème puisqu’il s’agit du passage des saisons. Le vocabulaire est simple. Face à l’été qui s’en va et à l’automne qui approche, le poète recommande au bûcheron, au charbonnier et au fagotier de se mettre à l’ouvrage.
Une fin plus solennelle
On remarque cependant une légère modification de la structure pour les deux dernières strophes. Dans les seizième et vingtième vers, Victor Hugo emploie la deuxième personne du pluriel. En apostrophant ainsi directement le lecteur, le poète aborde des sujets plus graves. Il ne s’agit plus seulement d’une préparation matérielle à l’hiver, mais aussi d’une préparation psychologique, voire spirituelle.
Le vers « Vous qui mourez, faites du feu » rappelle ainsi la condition mortelle de l’être humain, face à laquelle il n’est d’autre solution que la fraternité : on peut penser que le « feu » représente ici un âtre réconfortant autour duquel se rassembler, se réunir. Le feu n’est donc pas seulement ce qui procure de la chaleur, mais aussi et surtout ce qui rassemble autour de lui les êtres humains. C’est, pour le dire autrement, la chaleur du cœur.
Jouant avec les antonymes, Victor Hugo conclut « Vous qui vivez, faites l’amour ». Il s’agit certes, pour une part, de l’amour charnel, puisque le texte du brouillon précise « Êtes-vous deux ? » et évoque le fait de « brûler » sous l’effet de la passion. Pour une part, mais pas seulement. Je ne crois pas me tromper en pressentant qu’il y a ici une invitation à l’amour universel. Face à l’hiver, qui symbolise les difficultés de la vie, la fragilité de l’existence, la condition précaire de l’être humain, Victor Hugo semble recommander la communion dans l’amour.
*
Victor Hugo écrivit ce poème il y a exactement 164 ans, jour pour jour, un 27 septembre. C’était un mardi. La chaleur de l’été commençait à s’estomper, et déjà les hirondelles avaient disparu du ciel français. Il pleuvait sur les touffes d’orties, et cette atmosphère un peu terne lui a inspiré cette chanson à la fois légère et mélancolique. Ce poème n’a rien perdu de son actualité : nous aussi, préparons-nous à affronter l’hiver, auprès d’un bon feu de bois. Qu’en pensez-vous ?
J’ai 60 ans et je me souviens de ce poème appris à l’école primaire avec mon frère aîné (1an de plus que moi). Il est d’autant plus vivant en moi que Michel a quitté ce monde à 32 ans.
Contente d’avoir retrouvé ce beau poème qui a pour moi la magie de créer un pont entre mon cher frérot , mon enfance et moi-même. Merci de votre document et explications à propos de cette douce « chanson ».
Belle année 2018 !
Eliane
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Merci beaucoup pour ce commentaire très touchant.
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