Si, par une nuit d’août, en un lieu quelque peu épargné de la pollution lumineuse, vous levez les yeux vers le ciel, vous ne manquerez pas d’observer quelques étoiles filantes. Ces petits cailloux, parfois de quelques grammes seulement, deviennent incandescents en pénétrant dans l’atmosphère terrestre, laissant dans le ciel de belles traînées lumineuses. Ce phénomène céleste à inspiré à Victor Hugo un beau poème, dont voici la première partie.
– I –
À qui donc le grand ciel sombre
Jette-t-il ses astres d’or ?
Pluie éclatante de l’ombre,
Ils tombent… — Encor ! encor !Encor ! — lueurs éloignées,
Feux purs, pâles orients,
Ils scintillent… — ô poignées
De diamants effrayants !C’est de la splendeur qui rôde.
Ce sont des points univers.
La foudre dans l’émeraude !
Des bleuets dans des éclairs !Réalités et chimères
Traversant nos soirs d’été !
Escarboucles éphémères
De l’obscure éternité !De quelle main sortent-elles ?
Cieux, à qui donc jette-t-on
Ces tourbillons d’étincelles ?
Est-ce à l’âme de Platon ?Est-ce à l’esprit de Virgile ?
Est-ce aux monts ? est-ce au flot vert ?
Est-ce à l’immense évangile
Que Jésus-Christ tient ouvert ?
Est-ce à la tiare énorme
De quelque Moïse enfant
Dont l’âme a déjà la forme
Du firmament triomphant ?Ces feux vont-ils aux prières ?
À qui l’Inconnu profond
Ajoute-t-il ces lumières.
Vagues flammes de son front ?Est-ce, dans l’azur superbe,
Aux religions que Dieu,
Pour accentuer son verbe,
Jette ces langues de feu ?Est-ce au-dessus de la Bible
Que flamboie, éclate et luit
L’éparpillement terrible
Du sombre écrin de la nuit ?Nos questions en vain pressent
Le ciel, fatal ou béni.
Qui peut dire à qui s’adressent
Ces envois de l’infini ?Qu’est-ce que c’est que ces chutes
D’éclairs au ciel arrachés ?
Mystère ! sont-ce des luttes ?
Sont-ce des hymens ? Cherchez.
Sont-ce les anges du soufre ?
Voyons-nous quelque essaim bleu
D’argyraspides du gouffre
Fuir sur des chevaux de feu ?Est-ce le Dieu des désastres,
Le Sabaoth irrité,
Qui lapide avec des astres
Quelque soleil révolté ?
Victor Hugo, « Les étoiles filantes »,
in Œuvres complètes, Les Chansons des rues et des bois,
Paris, Ollendorf, 1933, vol. XXX, pp. 85 sq.,
via Wikisource.
L’émerveillement du poète

Je ne crois pas qu’il y ait beaucoup de poèmes qui comportent autant de phrases interrogatives et exclamatives. C’est le signe évident du ravissement du poète face à ce phénomène naturel qui semble, dès lors, merveilleux. Ces exclamations introduisent parfois des ruptures rythmiques en milieu de vers, traduisant ainsi une diction relativement saccadée, manifestant l’émotion du poète.
L’émerveillement du poète explique également le lexique très mélioratif par lequel Victor Hugo désigne les étoiles filantes. On notera en particulier le champ lexical des pierres précieuses : « or », « diamants », « émeraude », « escarboucle »… Ainsi que celui du feu. Cette flopée d’images permet de traduire le caractère merveilleux de ce phénomène naturel. L’expression de « points univers » suggère qu’aussi petites que soient ces étoiles filantes, elles renferment tout un monde en leur sein.
Une interrogation métaphysique
Comme souvent, le fait de lever les yeux vers le ciel suscite des questions de type métaphysique. L’interrogation des deux premiers vers — « À qui donc le grand ciel sombre / Jette-t-il ses astres d’or ? » — ne cesse d’être reformulée tout au long du poème. Ainsi, un peu plus loin, la question « Cieux, à qui donc jette-t-on / Ces tourbillons d’étincelles ? » se lit comme une reprise de l’interrogation initiale.
Victor Hugo émet une série d’hypothèses en guise de réponse, et il y a évidemment une progression. Le poète pense d’abord à « l’âme de Platon » (philosophe de la Grèce antique) et à « l’esprit de Virgile » (écrivain latin, auteur en particulier de l’Énéide). Il me semble que Dante, dans sa Divina Comedia, faisait de « l’esprit de Virgile » un guide et un intercesseur dans le chemin de l’âme jusqu’au Paradis. C’est ensuite à la nature elle-même que Victor Hugo suppose que ces étoiles filantes sont adressées : « Est-ce aux monts ? est-ce au flot vert ? ».

On observe ensuite un passage du monde païen (les grands Anciens, la Nature) au merveilleux chrétien. Victor Hugo évoque ainsi successivement « l’immense évangile » de Jésus-Christ, la « tiare énorme » de Moïse, les « prières », les « religions », la « Bible ». Les étoiles filantes seraient ainsi, en quelque sorte, une réponse de Dieu aux prières qui montent vers lui. En affirmant que l’âme de Moïse « a déjà la forme / Du firmament triomphant », le poète établit une correspondance, un parallèle entre l’individu terrestre et le monde céleste, faisant ainsi du prophète Moïse un intercesseur avec le divin.
Pour Victor Hugo, les étoiles filantes viendraient « accentuer » le « verbe » de Dieu. Elles couronneraient en quelque sorte la parole divine. Il faut ici se souvenir que l’Évangile selon Saint-Jean commence précisément par les mots « In principio erat verbum », « Au commencement était le Verbe », identifiant l’origine de l’univers avec la Parole de Dieu.
Finalement, le poète laisse la question sans réponse :
« Nos questions en vain pressent
Le ciel, fatal ou béni.
Qui peut dire à qui s’adressent
Ces envois de l’infini ? »
La question est rhétorique : personne ne peut dire « à qui s’adressent ces envois de l’infini ». C’est pourquoi l’on rencontre, un peu plus loin, l’exclamation « Mystère ! », dans une phrase nominale, ainsi que l’exhortation laconique : « Cherchez ». Le poète laisse donc le lecteur se débrouiller avec ses interrogations métaphysiques. En somme, nous ne saurons pas s’il est un véritable destinataire privilégié de ces étoiles filantes, considérées comme un signe divin.

Le poème aurait pu se conclure sur cet énigmatique « Cherchez », mais il se prolonge avec deux dernières strophes qui relancent l’interrogation métaphysique. Victor Hugo se demande si les étoiles filantes ne seraient pas les « anges du soufre », donc des messagers du Diable (« sulfureux » étant synonyme de « diabolique »). Les argyraspides sont des membres d’un « corps d’élite de l’armée d’Alexandre, ainsi appelé en raison du bouclier d’argent dont chacun était armé » (d’après le TLFi). Quant au terme de « Sabaoth », introuvable dans le Trésor de la langue française informatisé, il est défini dans le Grand Dictionnaire Universel du XIXe siècle comme la « qualification que les Hébreux donnent à leur dieu Jéhovah, et qui signifie proprement des armées : Jehovah Zebaoth, […] c’est-à-dire des astres considérés comme des armées célestes rangées sous le commandement de ce dieu ». Victor Hugo présente donc les étoiles filantes comme des éléments de cette armée divine.
*

La question reste cependant en suspens, si bien que la deuxième partie du poème (non citée) la balaie d’un « Mais qu’importe ! l’herbe est verte, / Et c’est l’été ! […] ». Si l’émerveillement face aux étoiles filantes a poussé Victor Hugo à leur chercher un sens — « sont-ce des luttes ? / Sont-ce des hymens ? » –, le poème ne verse qu’un temps dans la grandiloquence. Du reste, le choix d’heptasyllabes évite l’excès de grandeur. Nous sommes loin, ici, du panache ronflant de l’alexandrin. Nous, simples humains, ne pouvons que contempler ce ballet nocturne, et même si la science a depuis réduit les étoiles filantes à l’état de simples poussières incandescentes, nous pouvons toujours rêver que des dieux, là-haut, combattent ou s’embrassent, dans ce qui demeure un ravissant spectacle.
beau blog. un plaisir de venir flâner sur vos pages. une belle découverte et un enchantement.N’hésitez pas à visiter mon blog (lien sur pseudo)
au plaisir
J’aimeJ’aime
Bonjour et merci pour votre commentaire !
J’aimeJ’aime