On entend parfois que le dix-huitième siècle était celui des philosophes et des penseurs, non celui des poètes. Certes, les poètes du Siècle des Lumières sont moins enseignés que les grandes voix modernes du siècle suivant. Il y a pourtant eu des poètes au dix-huitième siècle : Wikipédia en recense 189, ce qui est certes beaucoup moins que les 630 poètes du XIXe ou les 1350 poètes du XXe siècle. Qui connaît Jean-François Ducis, Nicolas Gilbert, ou encore Jean-Pierre Claris de Florian ? Deux noms surnagent cependant : celui de Fabre d’Églantine, surtout connu pour avoir trouvé des noms poétiques aux jours et aux mois du calendrier révolutionnaire, et celui d’André Chénier. C’est de ce dernier dont je voudrais vous parler aujourd’hui.
Sa vie en quelques mots
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Portrait d’André Chénier (Wikipédia) Naissance : à Constantinople en 1762
- Enfance : dans le Languedoc, tôt marquée par une certaine passion pour la littérature française. À seize ans, il traduit Anacréon et Sapho.
- Arrivée à Paris : fréquentation des milieux littéraires et aristocratiques. Sa mère tient un salon recherché.
- Poussé par son père à faire carrière, Chénier rejoint l’armée en 1782, mais l’ennui le pousse au bout de six mois à revenir auprès des siens. Il voyage en Italie puis à Londres. Il y lit Milton qu’il admire.
- Révolution française : Chénier se passionne pour la défense de la liberté. D’après Larousse, « il salua la Révolution de quelques chants qui respirent l’enthousiasme de la liberté ; mais il réagit bientôt de toute l’ardeur de sa jeunesse et de ses préjugés contre les conséquences de cette Révolution. Ses idées, ou plutôt ses sentiments, n’allaient pas au-delà d’un constitutionnalisme à la manière anglaise ». Il écrit des articles virulents. « Il composa une ode énergique à la louange de Charlotte Corday ». Écrivant contre à peu près tous les partis, il finit par se faire des ennemis : il fut arrêté et mis en prison.
- Arrestation : Il écrit ses Iambes en prison. Selon Larousse, cela n’aida pas à revenir dans les bonnes grâces des gouvernants !
- Mort : le 7 thermidor an II – 25 juillet 1794, la veille de la mise en accusation de Robespierre.
Le jugement de Pierre Larousse
Ce que j’aime bien dans le Grand Dictionnaire Universel du XIXe siècle de Pierre Larousse, c’est que l’auteur ne se prive pas de livrer un jugement sur les écrivains qui me semble beaucoup moins neutre que ce que l’on trouve dans la plupart des dictionnaires actuels. Il ne faut donc pas prendre toutes les affirmations pour argent comptant, mais cela donne une idée de ce que certains pouvaient penser au XIXe siècle.
Selon Pierre Larousse, André Chénier, peu connu de son vivant, obtint un certain succès posthume. Son œuvre présente un certain nombre de textes incomplets qui rappellent sa « destinée tragique ». Le poète est présenté comme un successeur de Ronsard, puisqu’il voulait lui aussi élever la poésie française à la hauteur des lettres grecques, ce qui passe paradoxalement par une volonté de « se dégager des anciens ». Pierre Larousse cite Foucquières selon lequel Chénier « parle la même langue que Racine, mais trempée d’une grâce byzantine, attique même, naturelle et innée, et dans laquelle se fondent heureusement l’ingéniosité grecque et la franchise gauloise ».
Toujours d’après Pierre Larousse, Chénier « n’est point de son époque […] il est à la fois plus ancien et plus moderne, plus ancien surtout ». Il est présenté comme « le rival de Lucrèce ». Pour Sainte-Beuve, grand critique littéraire du XIXe siècle, Chénier est « notre plus grand classique en vers depuis Racine et Boileau », ce qui n’est pas un petit éloge ; il aurait été revendiqué à la fois par les classiques et par les romantiques dans la première moitié du siècle.
Larousse cite encore cet intéressant jugement de G. Planche : « le talent d’André Chénier, exclusivement consacré à la pureté de la forme, n’excite aucune sympathie chez les esprits qui n’ont pas fait de la poésie une étude assidue. Les sentiments qu’il exprime sont généralement vrais ; mais, comme ils ne se distinguent ni par l’animation, ni par la nouveauté, comme c’est à la forme surtout qu’ils doivent leur valeur et leur charme« , il est peu probable qu’il devienne populaire.
Un poème : « Le Jeu de Paume »
Afin de vous donner une idée de la poésie d’André Chénier, je vous présente aujourd’hui un poème intitulé « Le Jeu de Paume », long poème posthume en vingt-deux parties paru en 1819, disponible en un clic grâce à Wikisource, dont je ne citerai ici que la première partie.

De quoi parle ce poème ? Voici, en guise de résumé, un nuage de mots qui présente les principaux termes employés dans le poème. Plus le mot est écrit en gros, plus il est employé un grand nombre de fois.
Cette image a été réalisée par mes soins grâce au logiciel gratuit Iramuteq. On voit d’emblée que, ce qui intéresse Chénier, c’est le peuple, la liberté, la loi, le roi. Bref, le champ lexical des idées politiques est très fortement représenté. Ce qui n’a rien d’étonnant, s’agissant d’un poète qui écrivit juste avant et pendant la période révolutionnaire.
La longueur du poème interdit de le reproduire ici de façon intégrale : je vous renvoie au site Wikisource qui reproduit un grand nombre de textes libres de droits. Je citerai des extraits au fil de mes commentaires.

Le poème d’André Chénier (voir ci-contre) adopte des « vers libres classiques », c’est-à-dire des vers réguliers hétérométriques. Le poète passe de l’alexandrin à l’octosyllabe et au décasyllabe. Dans l’image ci-contre, les alexandrins ont été marqués par un « 12 » en rouge dans la marge, les octosyllabes par un « 8 » bleu, et les décasyllabes par un « 10 » vert. Les césures des alexandrins ont été marquées par un slash rouge : on se rend compte ainsi aisément que Chénier la respecte systématiquement. Les rimes n’adoptent pas un schéma répétitif : ababba cc dedde fgfghgh.
Le poème est une adresse à la « jeune et divine poésie ». André Chénier paraît ici fort enthousiaste à l’égard d’une Révolution qu’il présente comme la confirmation de ses « antiques discours ». Le poète défend l’idée que le talent littéraire trouvera un terreau plus fertile dans un « pays libre » que dans une monarchie absolue.
Sources et prolongements
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Frontispice du Jeu de Paume par André Chénier (source BnF Gallica) Collectif, Poésie française, Sélection du Reader’s Digest, préface d’Alexandre Jardin, 2010.
- Pierre Larousse, Grand Dictionnaire Universel du XIXe siècle, article « André Chénier », Paris, Larousse, 1869.
- André Chénier, « Le jeu de paume », Poésies diverses, dans Œuvres complètes de André de Chénier, texte établi par Henri de Latouche, 1819. Version mise en ligne sur Wikisource.
- Voir aussi la notice de « BnF Essentiels », à l’adresse http://gallica.bnf.fr/essentiels/chenier.
- Voir aussi la préface de Latouche pour le « jeu de Paume », sur le site BnF Gallica.
- L’image d’en-tête provient de l’édition originale du « Jeu de Paume », sur le site BnF Gallica.
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