Je vais vous parler aujourd’hui d’un mot très courant et parfaitement usuel. Un mot en apparence si ordinaire que vous vous demandez peut-être même pourquoi je vous en parle. Il s’agit du mot « bien ». Et plus précisément, il s’agira de ses différents emplois. Pourquoi ce mot ? Parce qu’il a fait l’objet de recherches. J’ai ainsi eu l’occasion d’assister à une conférence consacrée à ce seul mot « bien ». Cela sera ainsi l’occasion de présenter un exemple de ce que c’est que faire de la recherche en linguistique française.
Quelques exemples
Avant tout, je vais vous proposer quelques exemples de phrases où le mot « bien » est employé. Essayez de classer ces occurrences.
- C’était un homme de bien, aimable, généreux, gentil, toujours prêt à rendre service.
- Bien que la vie ait parfois été dure avec lui, il ne perdit jamais le sourire.
- Il savait où se trouvait le bien, et sa conduite était demeurée, toute sa vie durant, irréprochable.
- Il n’avait que peu de biens, et savait que le vrai bonheur ne réside pas dans l’étalage du luxe mais dans la capacité de se satisfaire de sa propre condition.
- Il aimait bien les promenades, près d’une rivière ou d’un lac, où il pouvait s’adonner sans retenue à la rêverie.
- La vie n’était pas toujours bien tendre avec lui.
- Eh bien, cela ne l’empêchait pas de conserver toujours le sourire.
- Nous savons bien qu’il a raison.
- Quand bien même, il est parfois difficile d’être aussi philosophe que lui !
- Ce n’est pas un bien grand effort que de tenter un peu, chaque jour, de tendre vers le bien.
Il me semble possible de proposer, pour l’instant du moins, le classement suivant, simplement pour mettre de l’ordre dans une réalité complexe, et sans encore en venir au contenu même de la conférence qui m’a inspiré cet article.
Un premier classement
Les emplois substantivaux
Dans plusieurs des exemples considérés, le mot « bien » est un nom. Il s’agit des occurrences 1, 3, 4 et 10b. Au sein même de cette catégorie, on distinguera entre un emploi abstrait et moral, désignant le bien par opposition au mal, et un emploi concret et matériel, renvoyant aux ressources dont la possession ou le manque font la richesse ou la pauvreté d’un homme. Dans « homme de bien », on notera que la valeur générale et abstraite du mot « bien », soulignée par l’absence d’article.
Les emplois adverbiaux
On remarque également que le mot « bien » a des emplois adverbiaux. Il modifie l’intensité d’un verbe, par exemple dans « nous savons bien », « il aimait bien ». Parfois aussi, il modifie l’intensité d’un adjectif : « bien tendre », « bien grand ». Le sens de « bien » est alors assez proche de celui de « très » : « Il n’est pas bien grand », « il n’est pas très grand ».
Les emplois grammaticaux
Dans les phrases 2 et 9, le mot « bien » est intégré à des locutions de sens concessif : « bien que », « quand bien même ». On peut dire que le mot « bien » a perdu son sens plein (le bien par rapport au mal) au profit d’un usage grammatical : on parle de « subduction ». Dans une phrase de la forme « Bien que A, B », on veut dire que l’affirmation B est valide alors même que l’affirmation A aurait tendu à faire penser le contraire. « Bien que la vie ait parfois été dure avec lui, il ne perdit jamais le sourire. » Autrement dit, « bien que » sert à mettre en évidence un contraste, un paradoxe, une conséquence inattendue. Le fait que la vie ait été dure avec lui (A) n’a pas impliqué qu’il perde le sourire (B), alors que cela aurait dû en principe être le cas.
Il nous reste à traiter la forme « Eh bien ! », où le mot « bien » fait partie d’une interjection. Dans le langage parlé, « bien » est parfois remplacé par « ben » : « Eh ben ça alors ! ». Peut-être que les gens ne font plus trop le lien entre le mot « bien » au sens plein, et cet usage purement exclamatif du mot « bien ». On dit que le mot s’est affaibli, qu’il s’est grammaticalisé.
La conférence d’Olivier Soutet
Il y a quelques années, Olivier Soutet, linguiste renommé, est venu à l’Université de Nice, sur le campus Saint-Jean d’Angély, pour y prononcer une conférence intitulée « Approche psychomécanique de bien ». C’était le 12 mai 2011.
Lors de sa conférence, il a cherché à montrer comment les différents emplois du morphème bien découlent les uns des autres. Cela suppose de dater l’apparition de ces différents emplois. Puis Olivier Soutet les a placés sur un « tenseur guillaumien », c’est-à-dire un graphe représentant un continuum dans lequel sont opérées des « saisies » correspondant aux différents emplois relevés.
- Image d’en-tête : La grammaire, par Paul Sérusier (source Wikipédia)
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Le mot bien pour moi me rappelle que lorsque j’expliquais une théorie, mon discours était souvent ponctué de « bien » comme une respiration. Un vrai tic !
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😉
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