Nous, adultes capables de lire sans difficulté de façon automatique, ne nous souvenons pas toujours de l’effort important que nécessite l’apprentissage de la lecture. Il s’agit en effet d’une tâche complexe, qui mobilise un nombre important de compétences. S’agissant de la langue française, les choses se compliquent encore par certaines particularités qui n’arrangent vraiment pas les choses.
1. L’apprentissage du code
La langue écrite repose sur un certain nombre de conventions graphiques, orthographiques, grammaticales, littéraires… L’apprentissage de la lecture nécessite plusieurs années. Or, ce parcours est jalonné de difficultés. En voici un aperçu.
La forme des lettres

En premier lieu, il y a des confusions possibles dans la forme des lettres, dans la mesure où certaines lettres ne sont que la transformation par symétrie d’autres lettres. Ainsi d, p, b et q sont, toutes quatre, formées d’un cercle avec une queue, et ne diffèrent que par la position de la queue. Cette proximité graphique est source de confusion.
En outre, chaque lettre possède plusieurs graphies possibles, selon que l’on écrit en majuscules, en minuscules détachées (l’écriture en « bâtons », dite aussi « scripte ») ou en écriture liée (la « cursive »). Les outils de traitement de texte informatisé permettent en outre l’affichage et l’impression des textes selon de très nombreuses polices de caractères, plus ou moins originales, qui ajoutent à la diversité des textes écrits.
► QUELLES AIDES FOURNIR AUX ENFANTS ?
Les professionnels recommandent d’utiliser des polices de caractère telles que « Comic Sans » ou encore « Open Dyslexic ». On entend aussi parfois la recommandation de fournir un agrandissement des textes, ou d’augmenter l’interligne.
L’incroyable rareté des couples lettre-son simples

Nous disposons, pour écrire le français, de vingt-six lettres, là où le nombre de phonèmes est beaucoup plus important. Dès lors, la correspondance entre graphèmes et phonèmes est loin d’être parfaite, ce qui complique l’apprentissage du code écrit.
- J’appellerai « simple » la situation où une lettre ne sert qu’à former un unique son, et où ledit son ne peut être codé que par cette seule lettre. Ainsi, la lettre « b » est simple : elle note le son [b] qui ne peut être codé que par la lettre « b ». Si j’entends [b], j’écris « b », et si je vois « b », je prononce [b].
- En revanche, la lettre « c » est complexe puisqu’elle peut noter, selon le cas, les sons [s] ou [k]. Et à ces derniers phonèmes correspondent plusieurs graphies. Ainsi, pour le son [k], qui peut être noté « k », « c », « q », « qu ».
- Je parlerai, pour le son [a], d’une situation semi-complexe : le son [a] ne peut être produit que par la seule lettre « a ». Mais la réciproque n’est pas vraie : la lettre « a » intervient pour former d’autres sons, en particulier le « e ouvert » (a + i : lait) ou la nasale [ã] (a + n : amande).
Faisons les comptes : il n’y a que 2 couples parfaits, à savoir le « b » et le « d » (et encore, ils sont parfois muets dans des mots comme Doubs, coud). Tous les autres cas sont soit complexes, soit semi-complexes. En particulier, aucune voyelle n’est simple.
Pourquoi une telle complexité ? S’il n’y a pas d’appariement exact des lettres et des sons, c’est parce que le français utilise l’alphabet du latin, lequel ne comportait pas les mêmes sons et n’accordait pas la même valeur aux lettres. La langue italienne, davantage adaptée à l’alphabet latin, présente une meilleure correspondance entre l’écrit et l’oral. A contrario, pour la langue anglaise, qui n’est pas une langue latine, les choses sont encore bien plus difficiles qu’en français.
Une grammaire qui ne s’entend pas

Comme en latin, les marques grammaticales du français sont généralement situées à la fin des mots. C’est le cas du féminin et du pluriel des noms et des adjectifs, et c’est aussi le cas des désinences qui permettent de conjuguer les verbes. Or, un grand nombre de ces marques grammaticales sont muettes et ne sont marquées qu’à l’écrit. Pensons aux pluriels en -s, aux désinences en -s, en -t, en -d, en -nt. S’il faut apprendre tout cela par cœur, c’est bien parce que l’oral n’est d’aucune aide.
Là encore, cela s’explique par des raisons historiques. La langue latine qui s’est diffusée plus ou moins largement dans l’Empire Romain, ce n’était pas la langue de Cicéron, mais celle des soldats. Un latin populaire qui était déjà bien différent du latin classique. Et lorsque les peuples autochtones ont adopté le latin, c’était en le prononçant à leur manière. Peu à peu, avec le temps, les déformations se sont multipliées, d’autant plus facilement que peu savaient lire et écrire. C’est ainsi que naquirent les différentes langues romanes, dont le français d’aujourd’hui représente l’un des aboutissements.
Et un trait majeur de cette évolution phonétique, c’est l’affaiblissement, voire l’amuïssement, des syllabes finales. Autrement dit, les mots ont été rabotés par la fin. Pile là où se trouvaient les morphèmes grammaticaux ! En français, un certain nombre de marques grammaticales ont été conservées à l’écrit, mais ont disparu à l’oral. Quant aux déclinaisons latines, il n’en subsiste que d’infimes traces.
Le problème des niveaux de langue

Autre difficulté, au-delà du simple déchiffrage, celle de la compréhension. Même les textes destinés à de jeunes enfants contiennent — et souvent, il est difficile de faire autrement — des informations implicites, des mots inconnus, des références à des réalités peu familières. L’écrit adopte généralement un niveau de langue qui n’est pas celui de l’oral familier auquel sont habitués les enfants.
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En somme, que l’on parle du déchiffrage, des fondements de la grammaire, ou encore de la compréhension des textes, on se rend compte que la langue française ne facilite pas les choses à l’apprenti lecteur. Heureusement, en dehors de quelques situations particulières, avec le temps et l’effort, ces difficultés n’en sont plus, et l’on devient capable de lire fluidement, de façon automatique et presque inconsciente. Mais quand l’on est chargé d’apprendre à lire à des enfants, on se souvient soudain que tout cela n’a rien d’évident, et qu’il est bien compréhensible que certains élèves éprouvent des difficultés, tant la langue française a été retorse.
Les lettres sont la peinture de l’esprit
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