Un collègue — et qu’il en soit ici très chaleureusement remercié — m’a fait découvrir un beau poème de Victor Hugo. Impossible pour moi de ne pas vous en parler. Déjà, c’est un poème de saison, qui convient parfaitement en ce début juin. Ensuite, ce poème se trouve publié juste après le très célèbre « Oceano nox » (« Ô combien de marins, combien de capitaines ! ») : il se prête donc parfaitement à la rubrique « Le poème d’à côté ». Voici ce poème…
Je précise que je cite le poème à partir du site Wikisource qui, lui-même, se fonde sur les Oeuvres complètes parues chez Ollendorf en 1909.
L’été, lorsque le jour a fui, de fleurs couverte
La plaine verse au loin un parfum enivrant ;
Les yeux fermés, l’oreille aux rumeurs entrouverte,
On ne dort qu’à demi d’un sommeil transparent.Les astres sont plus purs, l’ombre paraît meilleure ;
Un vague demi-jour teint le dôme éternel ;
Et l’aube douce et pâle, en attendant son heure,
Semble toute la nuit errer au bas du ciel.28 septembre 1837.
Un instant contemplatif

Un poème de deux quatrains, c’est assez court pour un Victor Hugo qui a beaucoup pratiqué le poème long. Cette brièveté traduit la simplicité d’un instant tout occupé à la contemplation de la nature. Cependant, le choix de l’alexandrin signale l’importance que le poète accorde à cet instant qui n’est banal qu’en apparence : on assiste à un grandissement du thème traité par le recours au vers noble par excellence.
L’effacement du « je » derrière le pronom « on », la prédominance des verbes d’état (être, paraître, sembler) montrent que le poète n’insiste pas sur ce qu’il fait lui-même, mais sur cet environnement particulier de la nuit de juin.
Dans la première phrase, qui correspond au premier quatrain, le poète commence non par le sujet, mais par des compléments circonstanciels de temps : « l’été, lorsque le jour a fui ». Il met ainsi en avant un moment particulier, un instant bien précis qui est celui de la nuit de juin.
L’antéposition du complément de l’adjectif dans « de fleurs couvertes », et le placement de ce groupe adjectival détaché avant le substantif auquel il se rapporte (« la plaine »), permet à Victor Hugo d’insister sur le cadre de cette contemplation. Le décor est planté avant même l’arrivée du sujet et du verbe principal, qui n’intervient qu’au deuxième vers.
La convocation de tous les sens
L’odorat, la vue et l’ouïe sont successivement convoqués en l’espace de quelques vers. C’est le signe que l’expérience ici décrite est une expérience totale, qui fait appel à la sensibilité dans son ensemble, bien davantage qu’à la raison. Cette insistance sur le domaine sensible peut être considérée comme un aspect du romantisme de Hugo.
Cependant, seul l’odorat est mis au premier plan, tandis que les autres sens apparaissent comme en retrait. L’odorat est précisément, parmi les cinq sens, l’un des plus sensuels. La vue, quant à elle, est oblitérée : les yeux fermés traduisent un repli sur l’intérieur. Au décor particulier de la nuit de juin, répond donc comme en écho l’intériorité du sujet.
« L’oreille (…) entrouverte » est certes disponible aux bruits environnants, mais cette ouverture n’est que partielle, comme s’il ne s’agissait pas vraiment d’écouter mais plutôt de se laisser pénétrer par les « rumeurs » du soir.
On remarquera au passage l’audace de la césure enjambante (« Les yeux fermés, l’oreille || aux rumeurs entrouverte »), qui sépare le substantif de son adjectif. Il me semble que le mot « oreille » se trouve ainsi mis en valeur.
Un demi-sommeil

Les troisième et quatrième vers reproduisent ce qu’il s’était passé dans les deux premier, à savoir l’antéposition des circonstants, qui apparaissent avant l’information principale, afin de commencer par décrire la réceptivité du sujet aux sensations.
L’information principale, « On ne dort qu’à demi d’un sommeil transparent », évoque un demi-sommeil qui correspond à cette heure tardive où le soleil est déjà couché mais où la nuit n’est pas encore pleinement installée. Ce demi-sommeil traduit une posture contemplative, où il s’agit d’être réceptif au monde, et non plus actif comme cela pouvait être le cas dans la journée.
La métaphore de « sommeil transparent » souligne cet état de réceptivité. De même qu’un objet transparent laisse passer la lumière, ce « sommeil transparent » laisse passer un ensemble de sensations qui viennent s’imprimer sur la sensibilité du sujet.
Une dimension cosmique

La deuxième strophe introduit une dimension cosmique. Le poète a désormais les yeux tournés vers le ciel. Le rythme binaire des comparatifs (« plus purs », « meilleure ») soulignent la qualité particulière du ciel à cette heure précise de la journée. Bien entendu, la métaphore de « dôme éternel » désigne le ciel étoilé : cette image fait de lui une couverture protectrice en même temps qu’un refuge de la transcendance. Le ciel est du domaine de l’immuable, par rapport au monde terrestre constamment changeant.
Les deux derniers vers témoignent d’un phénomène naturel bien connu : en juin, les nuits sont particulièrement courtes, et la lumière du soleil demeure longtemps perceptible sous la forme d’un ciel plus clair au-dessus de l’horizon. Mais la formulation adoptée par Victor Hugo confine à la personnification : l’aube apparaît presque comme un être surnaturel qui « erre » derrière l’horizon et « attend son heure ». Le rythme binaire d’adjectifs « douce et pâle » évoque ainsi des épithètes homériques.
On notera l’harmonie rythmique de ce dernier vers, parfaitement équilibré (2-4//2-4), qui traduit la solennité de cet instant serein où l’aube a rendez-vous avec la nuit.
*

Aussi simple que paraisse ce poème, avec seulement deux strophes, « Nuits de juin » est un petit concentré de poésie, où il n’y a rien de trop, pas d’artifice rhétorique trop voyant qui gâcherait le plaisir esthétique. Victor Hugo a su rendre la perfection, la solennité et la simplicité de cet instant presque magique de la nuit de juin, où, loin de l’agitation du jour, on se laisse pénétrer par des sensations peut-être soudain exacerbés, et où l’on contemple un ciel contrasté d’ombres et de lumières, quand l’aube ne tardera pas à poindre. Plus tard, Rimbaud, dans « Sensation », s’intéressera lui aussi aux soirées d’été, dans un poème également court. Je me demande si Rimbaud, écrivant ce poème, ne se souvenait pas, au moins inconsciemment, de ces huit vers de Hugo…
Merci, vous m’avez sauver pour mon oral
J’aimeAimé par 1 personne
Tant mieux ! Merci à vous d’avoir consulté cet article, et bonne continuation !
J’aimeJ’aime
Quelle merveilleuse image! Merci !
J’aimeJ’aime