Jean-Pierre Verheggen invité à l’Université de Nice

article-afriqueC’était dans le cadre du Printemps des Poètes 2017, et plus particulièrement des « Journées Poët Poët » organisées par la compagnie « Une petite voix m’a dit », que le poète Jean-Pierre Verheggen était l’invité de l’Université de Nice, ce vendredi 3 mars 2017.

Lecture poétique à l’Université

La façade du campus Carlone (photo personnelle)
La façade du campus Carlone (photo personnelle)

Dix-sept heures. Une petite assemblée grimpe les trois étages du bâtiment de l’Extension, à la Faculté des Lettres de Nice, campus Carlone. Tous se dirigent vers les locaux du Centre Transdisciplinaire d’Épistémologie de la Littérature et des Arts Vivants, et prennent place dans la salle de réunion.

Petit à petit, la salle se remplit. Toutes les places autour de la table ronde sont bien vite occupées, et il faut ajouter des sièges. Si tant de monde se réunit aujourd’hui, c’est qu’une lecture-rencontre avec Jean-Pierre Verheggen va débuter.

Celle-ci est organisée par Béatrice Bonhomme, professeur de littérature française du XXe siècle, par Sandrine Montin, maître de conférences en littérature comparée, et par Sabine Venaruzzo, directrice artistique de la compagnie « Une petite voix m’a dit ».

C’est cette dernière qui prend d’abord la parole. Elle se réjouit de voir l’Université accueillir cette manifestation, permettant ainsi d’associer le savoir universitaire et le plaisir de la lecture, et de faire circuler la poésie. Elle présente également le programme des « Journées Poët Poët » où Jean-Pierre Verheggen sera un invité d’honneur.

Qui est Jean-Pierre Verheggen ?

Sandrine Montin présente ensuite le poète, en s’appuyant notamment sur une chronique d’Alain Freixe (également présent dans l’assemblée). Elle rappelle la participation de Jean-Pierre Verheggen à la revue TXT aux côtés de Christian Prigent et de Bernard Heidsieck.

Ces relations indiquent assez que Jean-Pierre Verheggen est « un langueur », un poète qui privilégie le son plutôt que le sens. Il s’agit, pour lui, de tordre la langue dans tous les sens, mais amoureusement.

Je dirais donc que Jean-Pierre Verheggen peut être classé, par commodité plus qu’autre chose, parmi les « poètes des années soixante-dix », pour reprendre la classification par décennies de Jean-Michel Maulpoix, autrement dit ces poètes qui cherchent moins à chanter l’absolu qu’à triturer la langue dans tous les sens. Ou bien, pour utiliser cette fois-ci une distinction posée par Jean-Claude Pinson, on pourrait classer Jean-Pierre Verheggen parmi les « poètes philologues », ces poètes qui s’intéressent avant tout au langage, au « registre sémiotique », plutôt qu’au « registre romantique ».

« C’est l’oreille qui écrit et l’encre qui écoute. »

L’écriture comme force vitale

La poésie de Jean-Pierre Verheggen est constamment traversée par la Mort, précise Sandrine Montin en s’appuyant sur les mots d’Alain Freixe. Il lui fait la nique, il la traque jusque dans la langue. Il écrit pour tromper la mort, ce qui est très libérateur.

Écrire consiste aussi, pour Jean-Pierre Verheggen, à revitaliser la langue française. Sa langue anarchiste utilise des « gros mots sapiens ». Contre un « bobo-usage » de la langue française, c’est-à-dire un usage à la fois conventionnel et plaisant, conforme aux canons esthétiques véhiculés par les « bourgeois bohèmes », le poète plaide pour un « Bonnot-usage », en référence à la fameuse « bande à Bonnot ».

Quelles influences, quelles ascendances Jean-Pierre Verheggen peut-il revendiquer ? Si l’on songe à l’époque contemporaine, on pensera à des noms tels que Christian Prigent, Valère Novarina, Christian Dotremont, Antonin Artaud, Henri Michaux… Si l’on remonte plus loin dans le temps, on peut également évoquer l’entreprise insurrectionnelle des dadaïstes et des surréalistes, le goût de la provocation d’un Arthur Rimbaud, la jubilation du langage d’un François Rabelais.

Mais il puise aussi dans les mots de tous les jour, les journaux, les néologismes, la bande dessinée, la culture populaire…

Jouer avec le langage

Jean-Pierre Verheggen raconte qu’après avoir été invité à la chaire de poétique de l’Université Catholique de Louvain-la-Neuve (en Belgique), il a rassemblé ses interventions dans un livre intitulé J’aime beaucoup ma poésie. Ce titre dit assez le goût du poète pour la provocation.

Jean-Pierre Verheggen affectionne les jeux de mots, les traits d’humour, les phrases drôles, les détournements d’aphorismes, les redéfinitions plaisantes de néologismes…

J’ai tenté d’en noter le plus grand nombre possible, sans avoir toujours le temps de noter s’il s’agissait des mots de Jean-Pierre Verheggen lui-même, ou bien des citations par lesquelles le poète explicitait les influences qui furent les siennes. Je vous livre le tout en vrac, en vous avertissant d’emblée : parmi les citations qui suivent, quelques-unes ne sont peut-être donc pas de la main du poète.

  • « L’Autriche, l’homme aussi. »
  • « Vache qui rit vendredi… Dimanche, corrida. »

Jean-Pierre Verheggen apprécie les Logogrammes de Dotremont, les « aphorismes à la belge », les phrases drôles, les jeux de mots… « Tout cela a baigné mes lectures », dit-il.

  • « Les cannibales n’ont pas de cimetière. »
  • « Le pou méprise le chauve. »
  • « Nous sommes envahis par le manque de place. »
  • « J’ai des fins de moi difficiles. »
  • « Quand tu es nue, ta robe ne fait pas de pli. »
  • « Atchoum, c’est un peu d’éternuité. »
  • « Je suis l’homme de ma vie. »
  • « Le vendredi, les poissons pratiquants bouffent du curé. »

Jean-Pierre Verheggen a également écrit un ouvrage intitulé Ça ne langage que moi, et il poursuit : « et ça ne lecture que vous ».

Détournements de citations latines et de néologismes

Jean-Pierre Verheggen affectionne également les détournements de citations latines. Il cite avec plaisir cette savoureuse traduction de Pierre Desproges :

« Testis unus, testis nullus. On ne va pas loin avec un seul testicule. »

En vérité, la citation latine se traduit à peu près par : « Avoir un seul témoin, c’est comme n’en avoir aucun ». Mais Desproges a traduit avec les sons, et non avec le sens.

Jean-Pierre Verheggen cite quelques autres détournements :

« Errare humanum est : il est rare qu’il ne fasse pas nuit en Belgique. »

« Beati paupere spiritu : les Beatles avaient de belles paupières et un beau cul. »

On se souvient que le Dictionnaire Larousse contient, entre les noms communs et les noms propres, des pages roses proposant des traductions de citations latines célèbres. Jean-Pierre Verheggen parle, quant à lui, des « pages brosses du dictionnaire Labrousse ».

Jean-Pierre Verheggen se moque également avec malice de ces néologismes un peu pompeux qui fleurissent dans la presse, comme émoticône, buvabilité, accidentogène, burn-out, lifting, mal-voyant… Il propose de rebaptiser les ivrognes des « personnes à sobriété différée ». Quant au burn-out, il le définit de la façon suivante : « les burnes au tapis ».

Le poète a également été titreur pour Libération : bénévolement, il proposait des titres accrocheurs pour les articles qui faisaient l’actualité. Il raconte aussi avoir fait scandale en détournant un slogan électoral : au lieu de « Votez vert, votez écolo », Jean-Pierre Verheggen a écrit : « Votez vert, votez alcoolo ».

Citons encore Jean-Pierre Verheggen :

« Mister France : beau gosse, il a fait Normale Slip. »

« Comment ça va ? Nausi Caïn, Nausicaa. »

« On l’aura remarqué, je fais de l’à-peu-près poème en série. »

« Un sport éthylique : le cent mètres brasserie. »

« Chez Carrefour, chez le dentiste, Che Guevara. »

Pour conclure

"Lettres", Geralt, Pixabay, libre de réutilisation
« Lettres », Geralt, Pixabay, libre de réutilisation

Publié chez Gallimard, missionné par la Belgique pour être une sorte d’ambassadeur des lettres belges francophones, Jean-Pierre Verheggen défend et illustre la langue française avec plaisir, malice et simplicité. Ses détournements, ses allusions grivoises, ses jeux de mots ne manquent pas de faire mouche, si bien que rires et sourires n’ont pas manqué dans l’assemblée.

Si vous voulez connaître davantage son travail, sachez que, dans les jours qui viennent, Jean-Pierre Verheggen sera présent à d’autres manifestations sur la Côte d’Azur : je me permets de vous renvoyer au programme des « Journées Poët Poët ».

Je signale également, sur le site de Jean-Michel Maulpoix, une savoureuse présentation de l’ouvrage intitulé Vie et mort pornographiques de Madame Mao.

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