« L’hirondelle rouge » de Jean-Michel Maulpoix (à paraître)

En février prochain, paraîtra, aux éditions du Mercure de France, un nouveau recueil de Jean-Michel Maulpoix, intitulé L’hirondelle rouge. Il s’agit, pour une part, mais pour une part seulement, d’un « livre de deuil », pour reprendre l’expression employée par Philippe Jaccottet à propos de certains de ses propres ouvrages. Quelques remarques (il y aurait tant à dire !) sur ce nouveau livre…

L’évocation de parents disparus

Jean-Michel Maulpoix (Wikipédia)
Jean-Michel Maulpoix (Wikipédia)

Aussi ce livre dit-il la souffrance, la tristesse et le chagrin d’un fils à l’égard de parents qu’il ne verra plus. Rien, cependant, de larmoyant dans cet ouvrage. C’est à travers des traces très concrètes, — « le jambon à l’os, la part de fromage de Brie », « l’assiette en plastique bleue […] sur la table en formica rouge » — que sont évoquées ces parents disparus. « Les souvenirs sont faits de petits riens qui durent, de petits riens très durs en travers de la gorge. »

Ces micro-éléments, que l’on pourrait croire anodins, presque dérisoires, ont toute leur importance, puisqu’ils distinguent un deuil (celui du poète) de tous les autres. Ce sont aussi des signes qui demeurent et qui témoignent que ces personnes ont bien existé. De sorte que si, comme l’affirme la quatrième de couverture, l’ouvrage tient à la fois du « tombeau » et de « l’autobiographie », il me semble plus juste de préciser qu’il ne relève en fin de compte ni de l’une, ni de l’autre.

En effet, Jean-Michel Maulpoix a su éviter la grandiloquence qu’arbore parfois le genre du tombeau, tout autant que l’égocentrisme autobiographique. Ni tout à fait tombeau, ni tout à fait autobiographie, l’ouvrage inscrit la mémoire des parents disparus à travers de brèves proses, d’un lyrisme retenu, où le récit, fragmentaire, ne livre la mémoire et la douleur que par touches successives.

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Un oiseau (Pixabay)

Ce n’est pas la première fois que Jean-Michel Maulpoix évoque dans ses ouvrages la mémoire de proches disparus. Dès Un dimanche après-midi dans la tête, il était question de la mort d’une grand-mère, décédée alors que le poète était lycéen. On se souvient aussi, dans Pas sur la neige, de l’importance de « la femme de neige », la grand-mère institutrice du poète, qui lui apprit à lire. Dans Ne cherchez plus mon cœur, dans Les abeilles de l’invisible et à nouveau dans le Journal d’un enfant sage, le poète ou ses personnages font le deuil d’un animal de compagnie : événement sans doute moins dramatique, mais où s’exprime néanmoins, et toujours avec pudeur, la douleur de la perte.

On retrouve d’ailleurs dans L’hirondelle rouge une mention de ces deuils plus anciens, et le poète retrouve quasiment les mots qui furent alors les siens, en évoquant « le père qui pleure, debout, […] face au cercueil de velours rouge et de couronnes […]. / Et ses frères autour tout en noir. / Et le grand-père orphelin ».

Ce qu’il y a de nouveau dans L’Hirondelle rouge, par rapport à ces autres ouvrages, c’est l’importance accordée à ce deuil et à ces proches disparus, puisque ce thème occupe une bonne partie de l’ouvrage. Jean-Michel Maulpoix n’avait guère, auparavant, évoqué ses propres parents.

Au croisement de l’intime et de l’universel

Il y a bien une forte dimension personnelle, et même intime, dans L’hirondelle rouge, comme c’est d’ailleurs le cas dans la plupart des ouvrages récents de Jean-Michel Maulpoix : je me contenterai ici de citer le titre du Journal d’un enfant sage, tout entier consacré aux deux jeunes enfants du poète.

Mais ce caractère intime et personnel de l’ouvrage donne sa force à des réflexions sur la mort et sur le sens de la vie, qui auraient paru de peu de valeur si elles avaient été déconnectées de tout vécu. L’ouvrage s’interroge également sur le sens de l’écriture, sur la signification même de la poursuite de cette entreprise étrange d’écrire, dans ce contexte marqué par la mort, le deuil et le vieillissement. « La poésie est elle aussi une chose très vieille, tout près de s’éteindre et de disparaître. » Le recueil a aussi quelque chose du memento mori.

La vie malgré tout

Des oiseaux sur un fil (Pixabay)
Des oiseaux sur un fil (Pixabay)

Je n’ai pas lu L’hirondelle rouge comme un livre triste. Il y a ce petit point rouge de l’hirondelle dans le ciel bleu, qui « revient avec le printemps ». Si l’ouvrage doit son titre au tableau Hirondelle amour de Joan Miró, j’ai davantage pensé aux célèbres tableaux du même peintre intitulés Bleu I, II et III : il n’y a qu’un peu de rouge pour réveiller le bleu, mais ce rouge fait toute la différence (zébrure de l’hirondelle sur le bleu ?). « Rouge aussi bien de colère ou de désir ? Rouge de s’être envolée trop vite ? »

Une femme-oiseau de Miró (Wikipédia)
Une femme-oiseau de Miró (Wikipédia)

Cet oiseau « porte sur les ailes la vertu d’espérance ». C’est là un aspect essentiel pour moi de la poésie de Jean-Michel Maulpoix : sa tension vers l’espérance. Dans toute son œuvre, le poète tient compte de la souffrance, de l’inquiétude, de la mort, mais, loin de se complaire dans le noircissement du trait, il tente de trouver de quoi nourrir un espoir, des raisons de vivre et de poursuivre, coûte que coûte, le patient travail d’écrire. « Ce ne sera pas un livre de mélancolies mais de choses vues et de tristesse pensive. Un livre à tire-d’aile. Échappé du fond du puits. »

C’est ainsi que vient la section « La phrase du désir » comme une sorte de contre-sépulcre. Le poète s’adresse directement à la femme aimée : « Viens contre moi. Retire ta robe. Je veux ta bouche. » L’amour charnel est ici une force de vie, une façon de repousser la mort, quand le deuil vient rappeler que le temps est compté et que viendra le tour de chacun.

Aussi cet ouvrage trouve-t-il pleinement sa place, avec sa voix propre, dans une œuvre toute entière tendue entre inquiétude et apaisement, entre amertume et douceur, entre dissonance et sérénité.

On remarquera d’ailleurs que Jean-Michel Maulpoix a retrouvé pour L’hirondelle rouge le dispositif d’Une histoire de bleu : neuf sections de neuf poèmes chacune, où chaque poème de la page de gauche adopte la même longueur et le même nombre de paragraphes que son correspondant de la page de droite, si bien que la reliure est l’axe de symétrie de chaque double-page. Ce caractère composé de l’ouvrage participe d’une volonté de ne pas en rester à une succession de notes autobiographiques, à une sorte de journal intime ou de carnet de deuil, mais bien d’aboutir à un véritable livre de poésie, résolument tourné vers la vie.

Et ce mouvement vers la vie est aussi porté par l’écriture elle-même. J’aime la prose de Jean-Michel Maulpoix, ses rythmes brefs ou longs, sa phrase qui sait s’étendre, sa basse continue qui nous emporte…

« Sur le papier, instiller obstinément de l’amour, comme on verserait de l’eau sur la terre craquelée, avec l’espoir un peu fou qu’un brin d’herbe y germera, pas même une fleur des champs, coquelicot ou bleuet, non, juste une tige verte, une feuille aiguë, pointue, faite pour le repos furtif de la coccinelle, se balançant au souffle du vent d’été. Qu’un instant la mort qui somnole au fond de la langue quitte son manteau d’ombre et se clarifie dans la lumière du jour, tranquille et fragile comme un pas d’insecte. Que de la vermine et des larves s’évadent des papillons, qu’ils s’envolent et butinent jusqu’à l’épuisement au-dessus de la nappe dorée d’un grand champ de blé ! »

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