Paul Celan (1920-1970) fait incontestablement partie des grands poètes du XXe siècle. Sa poésie est profondément marquée par l’enfer des camps nazis, où ses parents furent déportés et trouvèrent la mort, avant que lui-même ne fasse l’expérience des travaux forcés en 1942-1944. Son recueil posthume Partie de neige, composé en 1968, n’est pas le plus connu, et c’est le poème qui donne son titre à ce recueil que j’ai choisi de vous présenter.
« PARTIE DE NEIGE, droit cabrée jusqu’à la fin
dans le vent ascendant, devant
les cabanes à jamais
défenêtrées :
faire ricocher des rêves plats
sur la
glace striée ;
dégager au pic
les ombres de mots, les empiler par toises
tout autour du fer
dans le trou d’eau. »
C’est en faisant référence à ce poème que le traducteur Jean-Pierre Lefebvre définit le recueil Partie de neige en affirmant qu’il « consiste en trois opérations: faire ricocher sur la glace rayée des rêves-cailloux plats, extraire à la pioche de leur gangue dure des ombres-mots et ombres de mots, et les disposer sans fioritures selon des mesures vivantes (les abrasses de l’écriture des vers entassés) tout autour de l’outil même, du fer de pioche qui les a dégagés, dans la pierre réduite à néant par le tourbillon des eaux glaciaires, dans le trou d’eau qui est aussi la source glottale de la parole ».
En somme, la neige n’est pas l’occasion d’une rêverie joyeuse sur la légèreté des flocons ou sur la pureté de sa blancheur. Le poète et critique Jean-Michel Maulpoix écrit à propos d’un autre recueil de Celan que le paysage dépeint est « un univers désolé, glacé, pétrifié et décapé, réduit pour l’essentiel à quelques termes qui insistent et constituent un territoire élémentaire où le gris et le blanc dominent » : c’est « un pays de cendre et de neige ».
Et de même, la parole n’est pas un souffle aisé : les mots eux-mêmes doivent être « dégagés au pic ». Loin d’apparaître comme une activité agréable ou facile, l’écriture poétique semble avant tout un effort contre un univers hostile. Et Jean-Michel Maulpoix prévient d’emblée le lecteur de Celan que la lecture de ce poète n’est pas davantage facile. Paul Celan ne vise pas l’enjolivure esthétique : « tous ses poèmes poursuivent un mouvement de reconquête du langage ».
Pour en savoir plus :
- Paul CELAN, Partie de neige [Schneepart], édition bilingue, traduit de l’allemand et annoté par Jean-Pierre Lefebvre, Paris, Seuil, coll. « La librairie du XXIe siècle », 2007.
- Jean-Michel MAULPOIX, Choix de poèmes de Paul Celan, Paris, Gallimard, coll. « Foliothèque », 2009.
- Un extrait de l’introduction de ce dernier ouvrage est accessible sur le site Internet de Jean-Michel Maulpoix.
Image d’en-tête : photo d’identité de Paul Celan, Wikimedia Commons.
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