En ces temps de réformite aiguë, il en est une qui m’est passée inaperçue : figurez-vous que « donc » est devenu adverbe. Du moins, si j’en crois le blog d’Anne de Louvain-la-Neuve, correctrice et auteur de manuels. Moi qui récitais « Mais ou et donc or ni car » et qui croyais donc que « donc » était conjonction de coordination ! Alors, je file voir la Grammaire méthodique du français, qui est la bible des grammairiens en herbe. Et c’est bien vrai !
Ce que dit la tradition
La tradition grammaticale range « donc » avec « or », « et », « ni » et « ou », c’est-à-dire parmi les conjonctions de coordination. Et en effet, dans certains cas, cela marche assez bien :
« Je pense donc je suis. » (1)
On peut difficilement nier que, dans l’exemple (1), le mot « donc » sert à coordonner deux propositions indépendantes. C’est clair comme de l’eau de roche.
Oui mais…
Cependant, ces emplois ne sont sans doute pas les plus fréquents du mot. On dira, par exemple :
« Si ce n’est toi, c’est donc ton frère. » (2)
Ici, nous avons bien deux propositions, mais le mot « donc » ne sert pas à les coordonner. Le mot « donc » est ici plutôt synonyme de « par conséquent ». Il a donc une fonction adverbiale. « Donc » serait ainsi un adverbe de liaison.
Les adverbes de liaison
Citons la Grammaire méthodique du français :
« Ils se distinguent des conjonctions autres que donc par plusieurs propriétés syntaxiques :
- ils sont cumulables entre eux […]
- ils peuvent se combiner avec une conjonction antéposée […]
- […] ils jouissent d’une certaine mobilité »
(Source : Martin Riegel, Jean-Christophe Pellat, René Rioul,
Grammaire méthodique du français, Paris, Puf, 1994, rééd. 2009, p. 880.)
Et en effet, cela fonctionne assez bien pour « donc » :
- On peut sans problème dire « Ainsi donc », même si je trouve l’expression quelque peu pléonastique : « donc » se cumule avec des adverbes de liaison ;
- On peut dire « Et donc », ce qui prouve que « donc » se cumule avec des conjonctions de coordination ;
- On peut placer « donc » à différents endroits, comme le montrent les exemples ci-dessous.
« Donc, je pense que c’est vrai. » (3)
« Je pense donc que c’est vrai. » (4)
Les exemples (3) et (4) tendent à affirmer la possibilité de déplacer « donc ».
Ainsi, après réflexion, je pense donc qu’il n’est pas injustifié de déclasser « donc » de la catégorie des conjonctions de coordination pour le replacer parmi les adverbes de liaison.
Les autres conjonctions
On notera que les autres conjonctions peuvent aussi avoir des emplois qui paraissent plus proches d’un adverbe que d’un mot coordonnant.
En effet, du moins dans le langage courant, elles peuvent s’employer en tête de phrase :
« Je l’attendais. Or, c’est toi qui es venu. » (5)
« Je le savais. Mais je n’ai rien dit. Car je préférais attendre. » (6)
Je me demande si cela ne tient pas, avant tout, à une certaine tendance à introduire des ponctuations fortes là où, auparavant, on aurait placé des virgules, comme si la brièveté des phrases était un impératif stylistique, un signe de modernité. Ici, il y a bien coordination de deux termes, mais rejetés dans des phrases différentes.
Dans ces emplois, les conjonctions de coordination commutent sans problème avec des adverbes de liaison. On peut dire :
« Je l’attendais. Pourtant, c’est toi qui es venu. »(5b)
« Je le savais. Je n’ai, cependant, rien dit. En effet, je souhaitais attendre. » (6b)
Faut-il pour autant considérer ces conjonctions de coordination comme des adverbes de liaison ? Non, car on ne remplit pas les critères indiqués par la GMF.
- On ne peut pas faire précéder « mais » ou « or » d’un adverbe.
- On ne peut pas les faire précéder d’une autre conjonction de coordination.
- On ne peut guère les déplacer.
Seul « donc » peut donc être vraiment transféré dans la famille des adverbes. Pour les autres, on pourra parler de conjonctions de coordination dont certains emplois sont adverbiaux.
Image d’en-tête : La Grammaire (Paul Sérusier, Wikimedia Commons)
Très bon article, Gabriel, merci pour ces remarques judicieuses.
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Merci,Gabriel,pour cet article très intéressant.
Donc,si j’ai bien suivi,c’est un modulateur du discours,ce « donc »…parfois bien sûr..Donc,nous sommes bien d’accord…
Je pense à l’talien « dunque »:
Nos chers voisins italiens disent à l’envi:
« Allora ,dunque ,noï abbiamo rubatto la piccola ò la grande bottiglia ? »(dans le cadre d’un reproche à des garnements dont on ignore qui a fait le coup…alors comme ça,on a volé la petite ou la grande bouteille? »
Entre parenthèses,moi,j’aurais tout de go pris la grande bouteille..surtout si c’est du Chianti…😉😁
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Votre analyse est très intéressante et fait réfléchir, merci ! Cela me rappelle toute une série de « puis » que j’avais dû retirer de ma liste de connecteurs du récit dans une étude, car nombre d’entre eux n’avaient pas valeur de succession mais étaient juste des « mots » énonciatifs ( et pis..et pis…et pis…). En revanche, j’avais dû considérer comme précurseurs de connecteurs des « oh ! » qui venaient remplacer chez des enfants ne les ayant pas acquis les connecteurs introduisant une rupture dans le récit : »soudain, tout à coup/ mais ». Les frontières des catégories quelles qu’elles soient peuvent être plus ou moins floues effectivement…
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