Halloween est certes une fête d’origine anglo-saxonne, mais c’est un bon prétexte pour parler de créatures fantastiques et mythologiques, d’un point de vue étymologique. À la façon de Georges Gougenheim dans Les Mots français[1], je vous propose un petit tour d’horizon linguistique. J’ai, à portée de main, l’indispensable Dictionnaire historique de la langue française dirigé par Alain Rey[2], et, à portée de clic, le non moins utile Trésor de la langue française informatisé[3]. Ainsi armés, nous pouvons partir à l’aventure dans les mondes fantastiques.
Les mots latins
Fée, fadet, fadette, farfadet
Le mot fée est issu du latin, ce qui signifie qu’il est l’aboutissement, au terme d’altérations phonétiques successives, du latin fata, désignant la « déesse des destinées », lui-même de fatum, le « destin ». Ce mot fatum, selon le dictionnaire d’Alain Rey, « se rattache au verbe fari signifiant “parler” ». Les fées sont, comme chacun sait, des créatures féminines dotées de pouvoirs magiques. Parfois bienveillantes comme le sont les marraines chez Perrault, elles peuvent aussi être laides et méchantes, comme la Fée Carabosse. On notera l’existence d’un emploi ancien, relevé par le TLFi, du mot fée comme adjectif signifiant « doté d’un pouvoir magique » : des arbres fées, des fleurs fées. Le dictionnaire donne des exemples chez Hugo et Gourmont.
Les termes fadet, fadette et farfadet viennent du provençal fada signifiant « fée ». Un fadet est un « lutin », une fadette une « petite fée ». Le mot farfadet n’est rien d’autre que le même mot, augmenté d’un préfixe à valeur de renforcement. On ne confondra pas le mot provençal fada « fée » avec le mot fada « niais, sot », qui vient de l’ancien provençal fadatz, lui-même du latin fatuus « insensé ».
Sorcier, sorcière
Étymologiquement, le sorcier ou la sorcière est celui ou celle qui lance des sorts. En effet, ces mots français sont issus du latin sorcerius, lui-même du latin populaire sortiarius/sortiaria, du latin classique sors, sortis « sort », « tirage au sort », « oracle », « prophétie ».
Monstre
Le mot monstre a été emprunté au latin monstrum, lui-même du verbe monere qui signifiait « faire penser, attirer l’attention sur », d’où « avertir ». Le monstre est donc, étymologiquement, un « prodige avertissant de la volonté des dieux ». L’étymon latin monstrum servait déjà à désigner « un objet de caractère exceptionnel » ou « un être surnaturel ». En français, le mot monstre a d’abord eu les sens de « prodige, miracle », « action monstrueuse, criminelle », « chose prodigieuse, incroyable », avant de désigner les créatures mythologiques ou légendaires.
Faune
Le faune est une créature légendaire dont le nom vient de celui du dieu romain Faunus, identifié au dieu grec Pan. « Le pluriel Fauni désignait de petits génies champêtres. Le nom de ce dieu bienfaiteur se rattache à favere, “être favorable”. »[4]
Dragon
C’est un emprunt au latin draco, qui désigne notamment « un animal fabuleux (souvent gardien de trésor) ». Le mot latin est lui-même emprunté au grec drakôn, signifiant « dragon », et également « employé […] comme nom propre ». Le mot grec est « apparenté au verbe derkesthai (aoriste edrakon) » signifiant « regarder », avec « une idée de regard fixe ou perçant ».
Lutin
Voilà un mot qui ne ressemble pas à son étymon ! Le mot lutin vient en effet du latin Neptunus, « dieu de l’eau et de la mer chez les Romains », considéré à basse époque comme un « démon païen ». Alain Rey explique dans son dictionnaire que le mot latin a évolué phonétiquement en netun, lequel, sous l’influence de nuit, s’est altéré en nuiton, puis, sous l’influence de luiter (« lutter »), en luiton. Il y a eu ensuite un changement de suffixe, par attirance de mots comme hutin, pour donner luitin et lutin. Le lutin a d’abord été un démon maléfique, puis un simple esprit malicieux.
Vouivre
Avez-vous déjà entendu parler de la vouivre ? Selon le TLFi, c’est un « serpent légendaire, gardien de trésors fabuleux, ou [une] jeune fille accompagnée de serpents, douée de pouvoirs fantastiques »[5]. On trouve aussi la graphie guivre. Le mot est issu du latin vipera, auquel est emprunté le mot « vipère »[6]. C’est un terme associé aux régions de Lorraine, Franche-Comté et Jura.
Les mots d’origine grecque
Sirène

Le mot sirène, d’abord écrit sereine, est emprunté au bas-latin sirena, du grec ancien seirên (Σειρη ́ν), lui-même « d’étymolgie obscure ». Citons le dictionnaire d’Alain Rey :
« Seirên était, d’après la tradition homérique (L’Odyssée), le nom de divinités de la mer qui, à l’entrée du détroit de Sicile, attiraient par leurs chants les navigateurs et les entraînaient vers la mort ; elles étaient représentées avec un corps d’oiseau et une tête de femme, et jamais avec un corps de poisson comme dans les mythes nordiques. »
Fantôme

Le mot fantôme « vient d’une forme méridionale °fantauma, issue du grec de Marseille par où le mot a pénétré, à partir du grec ionien °phantagma, correspondant à l’attique phantasma (φα ́ντασμα) “apparition, vision” et “fantôme”, repris par le latin impérial »[7]. Le mot a eu le sens d’« illusion trompeuse », déjà présent en latin.
Créatures mythiques du monde grec
La liste des noms de créatures légendaires de la mythologie grecque est trop longue pour que nous puissions consacrer un développement à toutes : pensons aux centaures, aux minotaures, aux sphinx et aux sphinges, aux titans, aux cyclopes…
Les mots d’origine germanique
Vampire

Le mot vampire est emprunté à l’allemand Vampir, mais ce dernier vient lui-même du serbe vampir. Selon Alain Rey, il est possible que le mot « remonte au turc uber » au sens de « sorcière ». Un vampire est « un fantôme qui sort la nuit de son tombeau pour sucer le sang des vivants ».
Walkyrie
La walkyrie est « l’une des trois déesses guerrières qui décident du sort des combats et de ceux qui doivent y mourir », dans « les mythologies scandinaves et germaniques ». Le mot est emprunté « à l’ancien norrois walkyria », et est composé de val « tué » et kyria « celle qui choisit »[8].
Troll
Le mot troll vient du suédois, ce qui n’est pas courant ! Les rares mots français qui viennent du suédois sont kraft (papier), rutabaga et tungstène[9]. En suédois, le mot troll (qui « remonte à l’ancien norrois ») désignait un « être surnaturel représenté sous forme de lutin ou de nain, vivant dans les grottes et sous terre ». Alain Rey rappelle que ce terme s’est répandu en français avec la diffusion de la littérature fantastique et par les jeux de rôle. On pourrait ajouter aujourd’hui une extension de sens, puisque le mot est fréquemment employé sur Internet pour désigner les personnes qui gâchent volontairement les conversations des forums.
Elfe

Encore un mot qui vient du suédois ! Le mot a été introduit dans la langue française dans une traduction d’un ouvrage suédois, quelques années après sa parution en 1555, avec la graphie elve. « C’est un emprunt par l’intermédiaire d’une forme latinisée, à l’ancien suédois älf, de l’ancien scandinave alfr, auquel correspond l’anglo-saxon aelf, d’où l’anglais elf. C’est par ce dernier que le mot a été réintroduit en France au début du XVIIe siècle ». Concernant le sens, le Dictionnaire historique de la langue française précise qu’il s’agit originellement d’un « génie qui symbolise les forces de l’air, du feu », même si le sens du mot s’est élargi, « souvent par influence de l’anglais ».
Les mots d’origine arabe
Goule
Une goule est « un vampire femelle des légendes orientales ». Le mot vient de l’arabe gul, désignant un « démon qui dévore les hommes ».
Djinn
Ce mot, de l’arabe ginn, désigne « dans le Coran et les légendes musulmanes, un être intelligent, généralement malfaisant, qui peut apparaître sous différentes formes. Il a été popularisé par […] Victor Hugo. »
Un mot d’origine créole
Zombie

Le mot « zombie », aussi écrit « zombi », nous vient de loin, puisqu’il est « emprunté à un mot créole haïtien, lui-même d’une langue africaine probablement parlée au Dahomey (Bénin), source du vaudou haïtien ». Le dictionnaire d’Alain Rey ajoute que « dans les cultes vaudou, le mot signifie “dieu-serpent” et désigne le pouvoir surnaturel qui peut réanimer un mort ; le sens extensif “fantôme d’un mort” (aussi nommé mort-vivant) est plus usuel ».
Un mot d’origine tibétaine
Yéti
Tout le monde a entendu parler de l’abominable homme des neiges, défini dans le dictionnaire d’Alain Rey comme « un être légendaire, à forme humaine, analogue à un grand anthropoïde couvert de poils, et censé vivre dans le massif himalayen ». En revanche, il est moins connu que le mot Yéti est un « emprunt à un mot tibétain ».
*
On peut conclure en soulignant la grande diversité des origines des mots que la langue française utilise pour désigner des créatures légendaires et mythologiques, en lien, bien entendu, avec la culture d’origine desdites créatures. Outre un certain nombre de mots latins et grecs, nous avons ainsi rencontré des emprunts germaniques, suédois, arabes, africains et même tibétains ! Nul doute que cette liste pût encore s’allonger en y adjoignant des créatures issues d’autres cultures, mais j’ai tenu à n’inscrire que des mots réellement utilisés en français, et relativement répandus.
Si vous avez des remarques ou des questions, l’espace des commentaires vous est ouvert. Sur ce, joyeux Halloween !
Notes
[1] Georges Gougenheim, Les Mots français dans l’histoire et dans la vie, Paris, Omnibus, 2008, préface d’Alain Rey (première édition : Picard, 1966 et 1975).
[2] Alain Rey (dir.), Dictionnaire historique de la langue française, Paris, Le Robert, 1992, rééd. 2006.
[3] CNRLT, Trésor de la langue française informatisé, www.cnrlt.fr.
[4] Alain Rey (dir.), Dictionnaire historique de la langue française (op. cit.).
[5] CNRLT, ATILF, Trésor de la langue française informatisé, http://www.cnrtl.fr/definition/Vouivre, consulté en octobre 2015.
[6] Alain Rey (dir.), Dictionnaire historique de la langue française (op. cit.).
[7] Alain Rey (dir.), op. cit.
[8] Toujours d’après Alain Rey, op. cit.
[9] Henriette et Gérard Walter, Dictionnaire des mots d’origine étrangère, Larousse-Bordas, 1998, p. 375.
Image d’en-tête : Un corbeau devant une lune orange (Alexas_Fotos, Pixabay, libre de droits).
Trop sympa pour nous faire attendre Halloween.
J’ai beaucoup aimé connaître les différentes origines de ces mots que nous employons volontiers!
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Merci beaucoup !
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