« Il faut qu’on voie »

Vous avez sûrement déjà entendu cette prononciation pour le subjonctif du verbe voir : « il faut qu’on se voye / qu’on se voille ». Soit, phonétiquement : [kõ sə vwaj]. Cette prononciation n’est pas celle du français standard, qui est, bien entendu, « qu’on se voie », prononcé [kõ sə vwa]. Comment expliquer cette prononciation alternative ?

1. Une prononciation régionale ?

Une hypothèse que l’on pourrait émettre serait de considérer cette prononciation non-standard comme une variante régionale, de la même façon que le mot « lait » se prononce au nord (soit, avec l’alphabet phonétique, [lɛ]) et au sud de la France [le]. C’est d’ailleurs l’hypothèse que fait un participant à un forum sur la question, sur le site languefrancaise.net. Je n’ai pas de moyens rapides de la vérifier, mais si des lecteurs provenant de régions différentes pouvaient donner leur opinion dans les commentaires, ce serait intéressant.

2. Une prononciation historique ?

Une autre hypothèse, également avancée sur ledit forum, est de penser qu’il pourrait s’agir d’une variante ancienne du verbe voir. En effet, au Moyen-Âge, l’orthographe n’était pas encore stabilisée, et les dictionnaires donnent parfois un certain nombre de variantes pour la même forme conjuguée. L’Académie française indique que, selon Littré, il s’agirait d’une ancienne prononciation.

Par exemple, pour l’infinitif voir, les graphies vedeir, veeir, veoir, voir sont attestées dans des ouvrages littéraires anciens (cf. Monique Léonard, Exercices de phonétique historique, Paris, Armand Colin, coll. « Cursus », p. 26).

3. Une analogie avec les formes du pluriel ?

L’Académie française explique également cette erreur comme une analogie faite avec les personnes du pluriel que nous voyions et que vous voyiez. Cela est bien possible, mais, après tout, le son [j] existe aussi à l’indicatif (nous voyons, vous voyez). Et les gens ne disent pas je voye à l’indicatif.

D’où mon autre hypothèse…

4. Le « sur-subjonctif »

Peut-être serait-il également possible qu’il s’agisse d’hypercorrection. L’hypercorrection, c’est une faute de français qui est faite par souci de bien parler. Ici, les gens savent que, au troisième groupe, le subjonctif se prononce souvent de façon différente de l’indicatif. Par exemple :

  • il dort (indicatif) mais il faut qu’il dorme (subjonctif)
  • il boit (indicatif) mais il faut qu’il boive (subjonctif)
  • il prend (indicatif) mais il faut qu’il prenne (subjonctif)
  • il dit (indicatif) mais il faut qu’il dise (subjonctif)

Et donc, les gens qui ont une certaine connaissance de la langue française auraient tendance à vouloir marquer qu’ils savent qu’après « il faut que », on emploie le subjonctif. Ils forgeraient ainsi un subjonctif bien sonore, un subjonctif qui s’entend, et ils diraient « il faut que je voye » au lieu de « il faut que je voie ».

On peut pourtant rappeler que certains subjonctifs s’entendent de la même façon que leur équivalent à l’indicatif, et que la différence est seulement écrite :

  • je vois (indicatif) et il faut que je voie (subjonctif)
  • je crois (indicatif) et il faut que je croie (subjonctif).

Et vous, que pensez-vous de tout ça ?


(Image d’en-tête : La Grammaire, Paul Sérusier, Wikimedia Commons)

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39 commentaires sur « « Il faut qu’on voie » »

  1. Si par le « nord » on entend Paris, ce serait « lè » oui, mais en Picardie et Nord-pas-de-Calais pas de prononciation en français standard, c’est « lé »… Donc « laid », « lait », « les », « -laient », « -lez » et autres pour nous c’est « é ».

    On privilégie toujours le « é » j’ai l’impression, par exemple, une professeure de linguistique nous avait fait remarquer quand j’étais en licence qu’en Picardie nous disions  » Cet été j’étais à Beauvais » tout en « é ». Les personnes ayant un accent régional le prononcent ainsi du moins, les autres non, ce serait plus du français standard.

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  2. Je trouve que c’est très bien de dire il faut que je voye, c’est très vieille France, hypercorrect, sur subjonctif, ça ne fait pas mal à l.oreille, au contraire ça sonne bien, ça me plait, n’en déplaise aux gens qui croyent avoir raison et parler bien le français, ils sont étroits d’esprit et souvent ne maîtrise pas bien la langue mais pense être les meilleurs….

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  3. Il faut respecter la grammaire à l’oral ou à l’écrit ainsi que l’orthographe. Nous n’avons pas à aimer ou à préférer mais à obtempérer. Chaque langue a ses règles et nous devons les respecter. Que je voYE m’écorche les oreilles.
    Notre langue est si belle ! Ne la gâchons pas.

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    1. Il s’agit en effet d’une erreur de prononciation. Cela n’empêche pas d’essayer de comprendre ses causes… Merci pour votre commentaire !

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      1. je sais,pour être ardennais;que chez nous il n’est pas rare d’entendre les gens dire que je voyes ou qu’il voyes ,un dérivé du français plutôt rattaché au patois qu’utilisait les anciens et qui c’est transmis au jeune génération par la conversation

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    2. Personnellement je préfère « que je voye », qui est plus beau à mes oreilles que « que je voie ». Ce n’est pas très gentil de dire que d’autres gâchent la langue, car une langue a toujours eu ses dialectes en fonction des régions, c’est aussi ce qui en fait sa richesse et sa variété. Elle n’est pas gâchée pour autant.
      Et donc je viens du Nord, avec de la famille du Pas de Calais, et il me semble bien qu’on le dise ainsi.

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    3. Pas d’accord. Le plus souvent le subjonctif s’entend ( que je fasse, etc). Donc il devrait logiquement s’entendre. Quand on dit juste que je voie, on entend vous, ce qui est identique à l’indicatif. Le français standard proposé par les vieux Académiciens est donc illogique et moi c’est l’absence de sonorité du subjonctif qui m’écorche les oreilles!

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    1. Ah c’est peut-être pour ça que je le dis, nombreuses fois on m’a corrigé mais le « il faut que je voye » est tenace et sort très facilement de ma bouche…je vis en France coincée entre les jurassiens et les hauts-savoyards et à 10 minutes de la frontière suisse

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  4. Bonjour, je suis de Normandie et j’ai toujours entendu dans ma region et moi même prononcé lait avec « é » par contre ma mère qui est de la region parisienne prononce « è »

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