Je vous citais récemment la « Chanson d’automne » de Verlaine, qui est l’un de ses plus célèbres poèmes. Profitons-en pour découvrir aujourd’hui le poème d’à côté, c’est à dire « l’heure du Berger »…
L’Heure du Berger
La lune est rouge au brumeux horizon ;
Dans un brouillard qui danse la prairie
S’endort fumeuse, et la grenouille crie
Par les joncs verts où circule un frisson ;
Les fleurs des eaux referment leurs corolles ;
Des peupliers profilent aux lointains,
Droits et serrés, leurs spectres incertains ;
Vers les buissons errent les lucioles ;
Les chats-huants s’éveillent, et sans bruit
Rament l’air noir avec leurs ailes lourdes,
Et le zénith s’emplit de lueurs sourdes.
Blanche, Vénus émerge, et c’est la Nuit.
Paul Verlaine, Poèmes saturniens, source Gallica.
Voilà un poème particulièrement serein. Le « je » s’y absente au profit du paysage nocturne et de ses animaux. Le poème s’ouvre sur la lune rougeoyante pour se clore sur l’étoile Vénus : le poème progresse ainsi du ciel au ciel, en passant par la faune et la flore nocturnes. Cette circularité traduit aussi le passage du temps : si la lune est « rougeoyante » sur l’horizon, c’est peut-être qu’il fait encore relativement clair, tandis que les mots finaux « et c’est la nuit » montrent que, en fin de poème, la nuit est belle et bien là.
Le poème décrit donc un temps relativement long. Pourtant, en l’absence d’adverbes temporels, celui-ci apparaît comme un instant. Tous les verbes sont au présent : il n’y a pas d’idée de succession. Les grenouilles et les chats-huants rappellent certes que tout n’est pas figé, tout n’est pas endormi, mais le paysage lui-même, nimbé de brouillard, demeure paisible et silencieux. L’idée de silence est rappelée par deux fois (« sans bruit », « lueurs sourdes »).
Le poème est composé de deux phrases dont la seconde tient sur le dernier vers. On peut ainsi lire les onze premiers vers comme une préparation du douzième, à valeur de trait final. C’est précisément dans ce vers ultime que s’explicite le titre : Vénus est l’étoile du Berger. On assiste à une véritable apparition : l’antéposition et le détachement de l’adjectif « blanche » dramatisent l’arrivée de Vénus. Derrière l’étoile Vénus, se profile aussi la déesse de la mythologie. La conjonction « et » (« Vénus émerge, et c’est la nuit ») a ici une fonction causale : c’est l’apparition de Vénus qui provoque la tombée de la nuit. On est ici à la lisière du merveilleux : Verlaine décrit un phénomène naturel, mais la façon de le décrire laisse imaginer la déesse Vénus provoquer la tombée de la nuit…
(Image d’en-tête : Bonnybbx, Pixabay, libre de réutilisation)
J’aime vraiment cette idée de nous faire connaître les poèmes suivants ou précédents des poèmes plus connus. Merci
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Merci pour ces analyses et ce blog! Vraiment interessant et dense. Hate de decouvrir vos autres posts.
J ecris des bouts de poemes et de textes, et j avais envie d approfondir et de m ameliorer bien sur, donc ravie de l avoir decouvert.
Bonne journee
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