En ce jour grisonnant, j’ai eu envie de partager avec vous quelques remarques à propos d’un très célèbre poème de Paul Verlaine. Le poète pouvait-il se douter que sa « Chanson d’automne » connaîtrait le succès que l’on sait, chantée par Brassens, Trenet et Ferré ? Ce poème, extrait des Poëmes saturniens, inscrit dans une série de « paysages tristes », possède des qualités qui justifient pleinement ce succès.
Voici le poème :
Chanson d’automne
« Les sanglots longs
Des violons
De l’automne
Blessent mon cœur
D’une langueur
MonotoneTout suffocant
Et blême, quand
Sonne l’heure
Je me souviens
Des jours anciens
Et je pleure ;Et je m’en vais
Au vent mauvais
Qui m’emporte
Deçà, delà,
Pareil à la
Feuille morte. »
Voir le texte dans l’édition originale via le site Gallica.
Des vers très brefs
A mon avis, si ce poème a connu autant de succès, c’est d’abord que la très grande brièveté des vers assure un retour fréquent des rimes, ce qui lui donne un caractère très mélodique. On a ici des vers de quatre syllabes, entrecoupés de vers de trois syllabes, mis en relief par un retrait.
Le poème se compose de trois sizains, dont la structure des rimes est AABCCB. Autrement dit, les deux premiers vers riment entre eux (AA), de même que les quatrième et cinquième (CC), tandis que le troisième vers rime avec le sixième. Pour le dire encore d’une autre façon, chaque sizain se compose d’un distique de rimes plates (AA), suivi d’un quatrain de rimes embrassées (BCCB).
On notera au passage que le vers 2 se prononce en quatre syllabes (des vi-o-lons), et que c’est ce qu’on appelle une diérèse : elle donne un aspect traînant au vers qui souligne sa tonalité mélancolique. En outre, les enjambements sont assez nombreux, comme par exemple « langueur/monotone », ou encore « quand/sonne l’heure » et « la/feuille morte » qui sont des contre-rejets : c’est un signe de modernité, de telles hardiesses n’apparaissant pas dans la poésie classique. Le vers est ainsi ballotté comme l’est la feuille morte par le vent mauvais.
Une mélancolie universelle
Si ce poème a eu autant de succès, ce n’est pas seulement parce qu’il est très mélodieux, c’est aussi parce que, en quelques mots, il parvient à créer une atmosphère mélancolique. L’usage de la première personne n’empêche pas la douleur évoquée de résonner en chacun de nous de façon universelle. On partage immédiatement la tristesse du poète.
Le choix de l’automne donne de l’ampleur à ces sentiments. Ce n’est pas ici l’automne radieux et multicolore des forêts rougissantes, mais une grisaille froide et venteuse, qui souligne cette sensation de tristesse.
Cette mélancolie est portée par la dissonance des vers impairs. Non seulement ceux de trois syllabes, mais aussi et surtout des tercets de onze syllabes (4+4+3). On est donc juste un peu en deçà de l’alexandrin. On pourrait réécrire ainsi le poème :
« Les sanglots longs des vi/olons de l’automne
Blessent mon cœur d’une / langueur monotone
Tout suffocant et blême, / quand sonne l’heure
Je me souviens des jours / anciens et je pleure
Et je m’en vais au vent / mauvais qui m’emporte
Deçà, delà, pareil / à la feuille morte. »
Cet agencement n’est pas celui proposé par Verlaine, mais il y a fort à parier que le poète joue ainsi avec l’alexandrin. En effet, la musique de l’alexandrin était immédiatement perceptible pour les auditeurs et les lecteurs du XIXe siècle, et Verlaine ici joue avec ce modèle, comme il joue probablement aussi avec la notion classique de césure. Celle-ci, presque toujours enjambante, interviendrait même une fois en milieu de mot, mais serait normalement placée dans le troisième « vers recomposé ».
J’espère que ces quelques très rapides remarques auront suffi à vous donner une idée du génie de Verlaine.
(Image d’en-tête : Antranias/Pixabay, libre de réutilisation)
8 commentaires sur « Un poème pour l’automne : Paul Verlaine »