Voyage dans le temps et dans les mots (2)

Quand on lit des textes du Moyen-Âge, on est confronté à une autre langue, avec son vocabulaire, sa syntaxe, ses déclinaisons… Les textes de la Renaissance présentent encore de nettes particularités orthographiques. Qu’en est-il aux dix-septième et dix-huitième siècles ? Poursuivons notre petit voyage littéraire et linguistique dans le temps, après notre première excursion qui nous a conduits des romans arthuriens à l’épopée joyeuse du géant Gargantua.

Une langue qui n’est pas encore tout à fait la nôtre

Chez les Montaigne et autres Rabelais, les différences sont encore nettement visibles : l’ancienneté du texte se perçoit immédiatement, pourvu que l’on lise un texte non modernisé. Nous avons déjà parlé des lettres muettes introduites par souci d’exactitude étymologique, comme « nuict », « huictiesme ». Ajoutons que bien des « s » muets, aujourd’hui parfois remplacés par un accent circonflexe, étaient encore écrits : on trouve par exemple chez Montaigne des mots comme « mesme », « escrire », « eschapper », etc. Et les imparfaits étaient encore écrits avec le digramme /oi/, puisque ce ne sera qu’au dix-neuvième siècle que l’Académie française, reprenant une proposition de Voltaire, optera pour l’écriture /ai/. Cette proposition visait à distinguer les sons « é » et « wa », tous deux écrits /oi/, en réservant l’écriture /oi/ au son « wa ».

Une fausse impression de transparence

Ces quelques différences s’estompent avec le temps. A la lecture d’un texte du dix-septième siècle, comme par exemple une tragédie de Racine, on remarquera que la langue employée est très proche de la nôtre, comme vous pourrez vous en rendre compte en feuilletant Andromaque de Racine dans l’édition de 1668 sur le site Gallica.

Cependant, il s’agit en réalité d’une fausse impression de transparence : si, du point de vue de la morphologie, la langue est très proche de la nôtre, il n’en va pas de même de la sémantique. Chez Racine, quand un personnage dit qu’il s’ennuie, il veut dire qu’il est tourmenté, pas qu’il se tourne les pouces. Et quand Baudelaire intitule Fusées l’un de ses ouvrages, il ne peut, par définition, penser à Soyouz ou à Ariane ! Des mots comme navette et voiture, qui désignent aujourd’hui des moyens de locomotion modernes, existaient déjà bien avant l’invention de ces engins, mais avec une autre signification.

C’est ainsi que Georges Gougenheim, dans Les Mots français (ouvrage très agréable à lire sur le vocabulaire de notre langue), consacre son premier chapitre à « l’affaiblissement de la valeur des mots ». Pour reprendre quelques uns de ses exemples, abîmer ne consistait pas simplement à provoquer quelques marques d’usure ; gâter désignait de même une véritable dévastation ; les gens étonnés étaient vraiment abasourdis ; et la gêne n’était pas un simple inconfort.

Il faut avoir à l’esprit cette difficulté en abordant des textes un peu anciens. Heureusement, les éditions critiques possèdent un arsenal de notes de bas de page qui précisent ces évolutions sémantiques. On peut aussi utiliser un dictionnaire historique, comme celui d’Alain Rey (éd. Robert), qui ne fournit pas seulement l’étymologie mais aussi l’évolution des significations dans le temps. Le Trésor de la langue française informatisé (TLFi), en ligne et gratuit, est également très utile.

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