Avez-vous déjà lu… un poème d’un seul vers ?

Saviez-vous qu’il existait un poème vide de Victor Hugo, c’est-à-dire sans texte ? Ou encore, des poèmes d’un seul mot, voire d’une seule lettre, de la plume de l’oulipien François Le Lionnais ? Si ce n’est pas le cas, je ne peux que vous recommander très vivement de parcourir le blog Textualités, que j’ai découvert au fil de mes pérégrinations sur le Web.

Dans ce blog, une catégorie d’articles m’a plus particulièrement intéressé. Leurs titres commencent par « Avez-vous déjà lu… », et proposent de découvrir une curiosité littéraire. Plusieurs articles sont consacrés à des expérimentations surréalistes ou oulipiennes, mais d’autres auteurs et d’autres époques sont aussi concernés. Je vous invite à parcourir ces articles, c’est très intéressant tout en étant composé sur un ton très léger.

Ces articles m’ont fait penser à une autre curiosité poétique, le poème d’un seul vers de Guillaume Apollinaire :

« Et l’unique cordeau des trompettes marines. »

C’est une belle phrase, parfaitement équilibrée dans ses douze syllabes correctement césurées, mais peut-on pour autant parler d’alexandrin ? Peut-on même parler de vers ? En effet, du moins si l’on se rattache à une conception traditionnelle, le vers est censé s’inscrire dans un système, comme le montrent le jeu des rimes et celui des strophes. Un vers seul est-il encore un vers ?

Ensuite, de quoi ça parle ? De « trompettes marines », qui ne sont pas des trompettes, mais des instruments à cordes. À une seule corde, même. D’où la phrase : « Et l’unique cordeau des trompettes marines ». Donc déjà, ça rassure, Apollinaire ne dit pas n’importe quoi.

Une trompette marine (Wikipédia, libre de réutilisation)
Une trompette marine (Wikipédia, libre de réutilisation)

À quoi ça ressemble, une « trompette marine » ? C’est là que Wikipédia a du bon, je peux vous montrer une photo. C’est un instrument longiligne avec une seule corde. On en joue avec un archet. Selon l’article, il peut y avoir d’autres cordes à l’intérieur de la caisse de résonance. Si j’ai bien compris, on ne les joue pas, elles servent à enrichir le son. Oui, parce que sinon, avec une seule corde, ça doit quand même être assez limité. Lorsque la corde vibre, l’instrument est également percuté par un « pied », ce qui produit un son de trompette (ce qui est quand même assez étrange).

Et ça fait un beau poème, même d’un seul vers, et pas seulement par sa régularité métrique. Il y a ce « Et » initial, qui donne son élan à la phrase et lui donne une certaine ampleur solennelle. Il y a aussi le possible jeu de mots entre « cordeau » et « corps d’eau », qui peut faire écho à l’adjectif « marines » (même si la trompette marine n’a rien à voir avec la mer, comme l’article de Wikipédia le précise).

Cette phrase m’évoque l’idée d’un lyrisme claironnant chantant la mer et le bleu, et me fait penser à certains passages d’Une histoire de bleu de Jean-Michel Maulpoix, où se glisse, certes, un ton ironique :

« Avec mes tympanons, ma trompe et mes timbales
Je chanterai sur un semblant d’air lyrique
Le grand tintamarre de la mer
[et sa fable moderne et désuète
« 

10 commentaires sur « Avez-vous déjà lu… un poème d’un seul vers ? »

  1. Un bel article. Quelques exemples supplémentaires de poèmes ou quelques vers m’auraient ravi. Quand à la trompette marine, elle s’apparente au monocorde de Pythagore et peut contenir des cordes dites « sympathiques », c’est-à-dire qu’elles entrent en résonnance avec la corde principale et l’enrichissent d’harmoniques, comme sur le sitar indien.

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  2. Bonjour. Merci pour l’intérêt que vous portez à notre rubrique, c’est toujours agréable d’être apprécié par ses lecteurs. Comme il est précisé sur notre site, nous avons à cœur de proposer des articles originaux, dans leur fond comme dans leur forme. Ainsi, la rubrique « Avez-vous déjà lu… ? » a été créée pour Textualités, dans le but de proposer des regards originaux sur des aspects parfois méconnus de la littérature. Notre site n’est pas une marque déposée, mais il nous semble aller à l’encontre du principe de ces articles (l’originalité) que de copier cette rubrique pour votre blog, même en en indiquant la référence.

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    1. Bonjour,
      Je suis sincèrement désolé d’avoir pu donner l’impression de copier votre concept. J’ai au contraire pris soin d’indiquer clairement la référence, en invitant explicitement mes quelques lecteurs à rendre visite à votre blog, ce qu’ils ne regretteront pas de faire, car on y apprend une multitude de choses intéressantes. Je pensais ainsi rendre hommage à votre façon de rendre plus accessible la littérature, ce qui est aussi le but qui est le mien. La littérature est trop souvent présentée comme quelque chose de compliqué ou d’austère, alors que c’est avant tout un domaine vivant, dont la découverte peut procurer beaucoup de plaisir. Il est important que l’information littéraire circule davantage, et c’est dans cet esprit que je me suis permis de faire référence à votre blog. Vous noterez par ailleurs que tout ce qui concerne le poème d’Apollinaire provient de mes propres recherches, de mes souvenirs d’étudiant, et de mes propres connaissances. Je ne pense donc pas que le réemploi de la formulation « Avez-vous déjà lu… ? » implique un manque d’originalité de ma propre démarche.
      Je n’ai pas voulu nuire à l’originalité de votre blog, et je ne pense pas que mon article lui fasse ombrage. J’aurais sans doute dû prendre le temps de vous écrire avant de publier cet article. J’espère que vous ne m’en voudrez pas.
      Je vous reformule donc à nouveau mes sincères excuses, en espérant que vous continuerez d’apprécier mon blog autant que j’apprécie le vôtre, tous deux animés d’une même passion pour la littérature.
      Cordialement,
      GG.

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