Jean-Michel Maulpoix, surtout connu pour son recueil Une histoire de bleu paru en 1992 et réédité chez Gallimard en 2005, a beaucoup écrit sur la mer. Feuilletant Portraits d’un éphémère, j’ai eu envie de partager un poème sur la mer et le ressac…
« De la mer, il aime le ressac, sa manière obstinée de déferler contre la roche ou sur le sable, lorsque toute parole lui demeure interdite, toute conversation à l’oreille des hommes, toute possibilité d’amour. Il aime le ressassement douloureux de la vague, ses mouvements d’épaules, ses vociférations, sa hargne les jours de tempête, ou sa douceur quand elle défaille au retrait de la marée. Il aime qu’elle ne puisse rien faire d’autre que rouler la silice, et polir et creuser lentement la pierre, pour rencontrer encore la pierre, le sable et les galets, jusqu’à la fin des temps.
Elle, tellement plus vaste, plus forte que lui, mais en fin de compte aussi vaine, résignée à reproduire sans faiblesse le même geste, semblable à celui qui l’occupe dans la chambre quand il frotte la plume d’or contre le papier. Tel encore celui du peintre ou du musicien, couvrant la toile et les portées, en espérant la défaillance de l’invisible ou du silence.
Il souffre de la même soif que la mer, de la même faim que le soleil quand il adore la pierre ou la peau d’un enfant : une sorte de désir inconsolable dont les mots qu’il écrit ne cicatrisent pas la brûlure. Il frappe aux portes de la mer, comme d’autres à la porte du ciel, avec des clameurs, des prières et des chants, sans espoir qu’on lui ouvre, sachant bien que seul existe ce en quoi l’on se met à croire. »
Jean-Michel Maulpoix, Portraits d’un éphémère,
Paris, Mercure de France, 1990, p. 28.
Ce poème permet de mettre en évidence quelques uns des thèmes chers au poète :
- la mer, donc, image de l’infini, de l’incommensurable, plus ou moins féminisée à travers ses « mouvements d’épaules » ; elle pourrait symboliser une forme de transcendance ou d’absolu (elle est ainsi rapprochée du « ciel ») si elle n’était « aussi vaine » : l’horizon n’ouvre pas, ici, de solution ou de promesse,
- l’écriture, animée par le désir d’« autre chose », à l’instar de la musique et de la peinture,
- l’obstination, tant celle de la mer que celle du poète lui-même, comme si écrire était la reprise incessante du même geste, « cent fois, mille fois repris », un geste presque désespéré, mais presque seulement, puisqu’il s’obstine précisément à le répéter. L’écriture s’apparente alors au ressac…
- une inquiétude presque désenchantée, qui n’est pas seulement celle du poète mais aussi le reflet de la « condition claudicante » de l’être humain, qui − pour reprendre la quatrième de couverture d’Une histoire de bleu − « tâtonne à la recherche du sacré dans un monde qui en a perdu l’idée mais en conserve le désir »…
Bien sûr, un seul poème ne suffit pas à traduire la diversité de l’œuvre de Jean-Michel Maulpoix. Le bleu et la mélancolie ne sont qu’un des aspects de son œuvre. Ce poème rédigé à la troisième personne rappelle que, dans Portraits d’un éphémère, Jean-Michel Maulpoix a effacé la quasi-totalité des marques personnelles. J’espère cependant avoir pu donner un exemple de sa parole, de son souffle qui porte sa voix au-delà de l’inquiétude…

Image d’en-tête : Pixabay.
9 commentaires sur « « De la mer, il aime le ressac… » : Jean-Michel Maulpoix »